Perles rares de la SF mexicaine

Julien Welter | 6 octobre 2004
Julien Welter | 6 octobre 2004

Et si, dans son retard, le Mexique avait pris de vitesse les États-Unis ? C'est peut-être ce que la rétrospective du cinéma de SF mexicain, projetée ce week-end (du vendredi 8 au dimanche 10 octobre 2004) à la Cinémathèque française des Grands Boulevards, montre en regard de la sortie de la quatrième saison de Futurama, dernière grande avancée dans la science-fiction, du moins sur le territoire nord-américain.

Car, alors que le pays de l'oncle Sam s'appropriait l'univers de la science-fiction, déroulant le devenir de l'humanité et les dangers de la robotique avec un chef-d'oeuvre comme 2001, l'odyssée de l'espace, le Mexique, dont l'industrie cinématographique entamait son chant du cygne, rationalisait. Trop loin de Mexico, Mars. Trop éloigné du mariachi, le cosmonaute. Trop peu pratique, la navette spatiale, pour les travaux agricoles. Dès lors, la saine réaction, guidée notamment par un instinct de survie, fut de s'approprier une part de ce succès en tournant le genre en dérision.

Le monolithe n'ayant jamais été vu en France, l'Hexagone aurait pu prendre exemple sur ce Mexique qui a su parodier avec efficacité les conventions parfois bêtes de ces histoires intersidérales. Le chef-d'oeuvre absolu et la preuve indéniable du talent de ce cinéma est peut-être La Nave de los monstruos. Loin d'être une série Z dont l'aspect même aurait été dérisoire, ce long métrage raconte la recherche stoïque de deux Amazones, aidées d'un robot venu d'une autre planète, du plus beau spécimen mâle de l'espace. « Ils sont étranges et affreux à la fois mais ce sont des hommes », lancent nos héroïnes en regardant les monstres glanés dans le vide stellaire. Jusqu'à ce qu'elles tombent sur un mariachi qui se vante d'avoir abattu des dinosaures dans le Chihuahua. Ce dernier est un fin limier qui, quand il entend un monstre beugler, se demande : « Un train, peut-être ? » Pragmatique même puisqu'à la vue du dit monstre, il réplique un peu étonné par l'aspect de la créature : « T'es moche, on t'as fait à la hache ? » Heureusement pour lui, tout s'éclaire lorsqu'il apprend que les jeunes femmes viennent de Vénus, et non des États-Unis comme il l'avait pensé préalablement. Tout comme ce robot qui s'amourache d'un juke-box rappelle bien des Benders, les dialogues, les situations et la causticité de ce film rappellent constamment Matt Groening.
Ironique et dérisoire, cette rétrospective regorge de perles à l'image de El Planeta de las mujeres invasoras, où le compagnon du héros, prisonnier d'Amazones galactiques, s'éclipse grâce à cette géniale diversion : « Je vais chercher un chewing-gum. »

ENTRETIEN AVEC ITALA SCHMELZ, COORDINATRICE DU FESTIVAL EL MAS ACA

Comment en êtes-vous venue à vous occuper de cette rétrospective ?
Je cherchais un thème pour mon master de philosophie et j'ai pensé à : « comment construit-on le futur ? » Comme la science-fiction est un genre vaste, j'ai décidé de me concentrer sur ce qui existait au Mexique. Je me suis alors retrouvée en possession de matériaux très particuliers. Car même s'ils font rire, ces films sont des prismes de la pensée mexicaine.
La SF est partout dans le monde. C'est le genre de l'homme moderne par excellence parce qu'il est un miroir de nous-mêmes. Les icônes, comme les robots, les androïdes et autres, permettent de nous connaître. Et chaque pays a sa propre image de lui-même. Mais comment fait-on pour adapter l'iconographie de la modernité avec les traditions mexicaines ? C'est l'équation de ce cinéma.
Les Américains prennent très au sérieux ces films car il est bien possible que le futur leur appartienne. Mais pour le Mexique, c'est bidon. Ce pays ne va jamais construire des fusées pour aller sur la lune. Alors, ils rient de s'imaginer dans la lune et rient au passage des ambitions des États-Unis. Car après tout, le futur c'est quelque chose que l'on ne connaît pas, et la conquête de l'univers est une chose démesurément lointaine.

La Nave de los monstruos

D'où viennent ces films ?
Il y avait une industrie cinématographique très importante qui avait commencé dans les années trente et qui a connu une décadence à la fin des années cinquante. Le cinéma de SF est un produit de cette époque de déclin. Ils ont été faits par des gens connus, et pas seulement des acteurs mais également des réalisateurs et des producteurs. Ces films étaient une formule de plus pour faire de l'argent à un moment de crise.
Ces longs métrages ne réfléchissaient pas au respect du futur et de la technologie, ils étaient des parodies des productions américaines que nous connaissons tous. Je crois que ces films sont finalement comparables aux B-movies américains tournés avec quelques ficelles, des stock-shots et une mise en scène rudimentaire. Ce cinéma de science-fiction s'étend jusque dans les années quatre-vingt, mais c'est à chaque fois pire.

Quelles sont les particularités de ces longs métrages ?
La SF mexicaine n'a jamais abordé de problèmes politiques. La SF est une façon pratique de parler de l'époque contemporaine, d'imaginer au futur les problèmes du présent.
Mais à l'époque où Godard réalisait Alphaville et Truffaut Fahrenheit 51, l'industrie du cinéma mexicain s'attelait seulement au respect d'un imaginaire du Mexique traditionnel : les mariachis, la vie à la campagne, la tequila, etc. Ce que l'on trouve alors dans ce cinéma de SF est un curieux mélange de mariachis et de robots. Cela fait bizarre, mais c'est une façon d'accepter le modèle de la modernité et de s'en rapprocher.
Une autre chose que l'on remarque dans cette production est la façon dont sont dépeintes les femmes. Dans Santos contre les martiennes, il y a un argument génial : le pouvoir des femmes est la séduction. Comment lutter contre la séduction d'une femme ? La vision machiste a déteint sur la SF. On ne vole peut-être pas dans la lune, mais les femmes sont de plus en plus libérées et cela fait peur aux hommes. Dès lors, beaucoup de femmes sont des menaces dans la SF mexicaine.
Les imaginaires nationaux sont une façon de se présenter au monde. Avoir un cinéma propre pour chaque pays, c'est une façon de se reconnaître dans son propre imaginaire. Si l'on est consommateur que de celui des Américains, qui sommes-nous ? Chaque pays doit être différent, et cette rétrospective importait beaucoup dans mon pays, puisqu'à l'époque où elle a été faite, le gouvernement mexicain essayait de fermer l'Institut national cinématographique.

El Planete de las mujeres invasoras

Comment avez-vous procédé pour retrouver ces films ?
J'avais dans ma mémoire quelques titres mais je ne savais pas où trouver ces films. J'avais la filmographie, quelques images, les affiches, mais les films étaient introuvables. Deux mois avant le début de la rétrospective, je n'avais que deux films. Les producteurs les cachaient et ce n'est que parce que le directeur les connaissait qu'ils ont finalement accepté. Nous avons fait de nouvelles copies, mais pour certains films il manque des bobines. Cette rétrospective est donc aussi un travail de restauration et de conservation. Il y avait une production importante à cette époque au Mexique, près de cent films par an. Aujourd'hui, si on en tourne huit, c'est beaucoup. L'industrie est laminée, plus de 80% des films sont américains. Avant, il y avait beaucoup de cinémas indépendants, aujourd'hui les circuits de salles sont américains. Il n'y aura jamais plus d'industrie du cinéma mexicain. Il y a seulement un institut qui protège un peu notre art quand il n'est pas en train d'être fermé.

        

PROGRAMMATION

Vendredi 8 octobre 2004

20h : La Nave de los monstruos, de Rogelio A. Gonzalez (1959, 81min, VOSTF)
Un cow-boy chantant rencontre deux séduisantes extraterrestres qui lui présentent une galerie de monstres de l'espace. Il tombe amoureux de l'une d'elles tandis que l'autre, une créature maléfique, prépare sa vengeance.

22h : El Planete de las mujeres invasoras, d'Alfredo B. Crevenna (1965, 80min, VOSTF)
Une planète uniquement peuplée de femmes. La suite de Gigantes planetarios.

Samedi 9 octobre 2004

19h : Le Sexe fort (El Sexo fuerte), de Emilio Gomez Muriel (1948, 81min, VOSTF)
Échoué à Sibila, une île dominée par les femmes, un Mexicain et son ami espagnol deviennent les esclaves d'une tribu d'Amazones.

21h30 : Superman contre l'invasion des martiens (Santo vs la invasion de los marcianos), d'Alfredo B. Crevenna (1966, 85min, VOSTF)
Santo le catcheur masqué tente d'empêcher la conquête de la Terre par les Martiens. Y parviendra-t-il ?

Dimanche 10 octobre 2004

19h : La momia Azteca vs el Robot Humano, de Rafael Portillo (1957, 65min, VOSTF)
Un savant fou construit un robot dans le noir dessein de voler un trésor aztèque gardé par une momie vivante. Troisième volet de la trilogie de la Momie aztèque.

21h30 : Arenas Infernales, de Federico Curiel (1966, 85min, VOSTF)
Le catcheur Blue Demon est confronté à une invasion d'araignées géantes venues de l'espace.

Lieu des projections :
Salle des Grands Boulevards
42, bd Bonne-Nouvelle
75010 Paris
Tarif : 8 € (2 films)
Tarif réduit : 7 € (2 films)
Tarif abonnés : 6€ (2 films)

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