La Vie est belle : après Spielberg, le nouveau film du scandale sur la Shoah

Ange Beuque | 20 juillet 2023
Ange Beuque | 20 juillet 2023

L'édition 1998 du Festival de Cannes est en émoi : La Vie est belle, réalisé et interprété par Roberto Benigni, est à l'affiche, et s'il provoque de si vives querelles, ce n’est pas parce que son titre français usurpe celui du classique de Frank Capra. Son sacrilège : mettre en scène un père haut en couleur qui fait passer le camp de concentration pour un grand jeu afin de sauver son fils. Alors, conte poignant ou attentat mémoriel ?

Comment représenter la Shoah, à supposer même que ce soit possible ? Dès 1946, certaines des images abominables (et pas les pires) capturées par les cadreurs de l'armée à leur arrivée dans les camps sont diffusées en Europe. Par la suite, La Dernière Étape (Wanda Jakubowska, 1948), Nuit et brouillard (Alain Resnais, 1956) et bien d'autres ont contribué à éditorialiser ces archives afin de les enraciner dans la mémoire collective.

Or, l’uppercut cannois 2023 The Zone of Interest l’a confirmé : l’indicible est, de manière presque paradoxale, un puissant moteur créatif. D'autres cinéastes osèrent le choix de la fiction, assumant de se confronter à l'impossibilité d'une juste représentation. Certains privilégièrent des dispositifs narratifs moins frontaux, dont un italien au geste vif et à la diction fiévreuse qui, armé de son pitch lunaire, provoqua de grandes crispations.

 

La Vie est belle : Roberto Benigni, Giorgio Cantarini, Nicoletta BraschiLa vita è meravigliosa [sic]

 

La vie est fiel

Irresponsable, incompétent, irrespectueux, cheval de Troie involontaire du révisionnisme... C'est peu dire que La Vie est belle n'a pas suscité l'unanimité lors de sa présentation au Festival de Cannes, dont le comité de sélection, pressentant sans doute le vent du boulet, avait d'ailleurs hésité à le choisir.

Certes, de Maurice Pialat à Lars "je-suis-un-nazi" Von Trier, la grand-messe cannoise est rompue aux polémiques. Certes, Benigni lui-même ne pouvait ignorer à quelle grille de lecture il s'exposait. Certes, nombre d'autres journalistes comprirent sa démarche et lui furent bien plus favorables. Reste que l'ampleur des crispations interroge : La Vie est belle mérite-t-il tant de haine ?

Le long-métrage de Roberti Benigni n'est pourtant pas le premier à oser jouer avec la fidélité historique de cette époque. Jacob le menteur, réalisé par l'allemand Frank Beyer en 1974, suivait un héros qui tordait la réalité dans un ghetto juif sans s'attirer de telles levées de boucliers (un remake avec Robin Williams sortira d'ailleurs en 1999). Quant au célèbre humoriste Jerry Lewis, il se mit lui-même en scène dans le rôle d'un clown chargé de distraire les enfants dans leur cheminement vers les chambres à gaz. Si ce film ne vous évoque rien, c'est normal : lâché par ses producteurs, écrasé par l'ampleur du sujet, Lewis enterra finalement Le Jour où le clown pleura en première classe.

 

La Vie est belle : Roberto BenigniAlfred Hitchcock présente

 

Alors que la fin du millénaire approche, les créateurs s'enhardissent, comme si le cap du demi-siècle avait desserré l'emprise du tabou. En 1998 sort également Train de vie du roumain Radu Mihaileanu, dont le scénario avait été initialement proposé à Benigni, et qui creuse aussi un sillon partiellement comique avec ses personnages déguisés et son faux train de déportés.

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commentaires
Grandiose
22/07/2023 à 17:16

Film somptueux, Une magnifique pépite

Rorov94m
22/07/2023 à 12:37

Pour ce qui est du film de Jerry Lewis: LE JOUR OÙ LE CLOWN A PLEURÉ.
Lewis avait fini son film complètement: un pré -montage,prise de son directe,début d'étalonnage...il a pu montrer son oeuvre à quelques amis du rat-pack,Scorsese,De Niro et Richard Pryor...tous le monde à adoré après avoir chialé(ce qui n'a pas empêché le Grand Jerry de racheter son film au studio et de le DÉTRUIRE...)
Pryor aurait dit à Lewis que si c'était lui qui aurait fait ça sur l'esclavagisme il serait mort et enterré par les siens...
Anecdote que ne retiendrons pas Eboué et N'Gijol pour l' hilarant CASE DÉPART!

Rorov94m
22/07/2023 à 12:29

Radu Milaienu avait fait pareil avec son superbe TRAIN DE VIE;
il s'était même permis un "twist" final réservé habituellement aux films de genre...

Rorov94M
22/07/2023 à 12:26

Chef-d'œuvre absolu.
On ne ri pas du l'holocauste dans ce film; un personnage du film essaye d'en rire pour protéger son gosse...nuance.
Et puis la fin est sans appel. Tragique. Ce qui remet les pendules à l'heure.
Je vois mal Scorsese remettre une palme a une oeuvre révisionniste pour ma part.

Claras
22/07/2023 à 09:20

Un film exceptionnel, dans la lignée de Fellini, Chaplin et Spielberg
Je me rappelle de la tristesse ressentie lors des critiques odieuses dans le Nouvel Obs.
Mais les critiques passent , les chefs d 'oeuvres restent .A montrer aux enfants.
L.' humour, la politesse du désespoir...grand besoin d'apprendre ça dès le plus tendre age

Gabriel
22/07/2023 à 09:12

Le plus beau film que j'ai vu, je passe du rire aux larmes à chaque fois, une leçon d'humanisme.
Merci Monsieur Benigni.

DOC SAVAGE
21/07/2023 à 04:57

polémique sans intérêts !!!

Birdy l'inquisiteur
20/07/2023 à 15:43

Les polémiques que j'ai connues étaient plus dans les conversations sur le film, des années plus tard, sur le droit ou non de rire sur un tel sujet.
Mon opinion n'a pas changé : le contre point clown/Shoah illustre autrement et, selon moi, magnifiquement, l'horreur qui frappe cette famille, et par extension, le monde, quand la folie de la guerre est à ta porte.

Franken
20/07/2023 à 15:14

Je n’ai pas souvenir non plus que les polémiques aient dépassés la portée très limitées de certains articles.
Par contre, je me souviens à quel point j’ai détesté ce film ; je ne peux pas encadrer ce Benigni, son humour, sa gestuelle, sa voix , son phrasé.
Faudra que je retente le coup.
Un jour.
Lointain.

Eddie Felson
20/07/2023 à 14:42

Les gars, on est de la même génération et pareil, aucun souvenirs de ces polémiques à la sortie de ce chef d’oeuvre aussi singulière que « casse gueule « ! Il fallait oser et surtout réussir ce mélange à priori impossible de comédie sur fond de shoah!
Le fond n’est pas troublé par la forme et c’est aujourd’hui l’un de ces films, grands films, qui participe au devoir de mémoire tels « Schindler list » ou « nuit et brouillard ».
« Conte poignant ou attentat mémoriel ? »… conte poignant. L’époque est aux polémiques plutôt stériles et à la cancel culture! Pas touche!

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