Embrasse-moi, vampire : le vrai rôle à Oscar de Nicolas Cage

Mathieu Jaborska | 3 juin 2023
Mathieu Jaborska | 3 juin 2023

Plus de 30 ans avant Renfield, le grand Nicolas Cage jouait déjà les vampires... ou presque dans Embrasse-moi vampire. Et c'est l'un de ses rôles les plus délirants.

Dans la sympathique comédie RenfieldNicolas Cage n'interprète nul autre que le conte Dracula en personne, pour le plus grand bonheur de ses groupies. Et il relève le défi haut la main, alternant avec habilité les registres, entre horreur et parodie. Mais ce n'est pas la première fois qu'il se confronte au mythe du vampirisme ; il lui doit même en partie sa réputation de chien fou du cinéma américain.

Embrasse-moi vampire, sorti en 1989 aux États-Unis, n'a toutefois pas grand-chose à voir avec le délire gore de Chris McKay. Étrange comédie paranoïaque au box-office catastrophique, il raconte les divagations d'un homme qui se persuade d'avoir été transformé en vampire suite à une vision érotique. Il serait parfaitement oublié aujourd'hui si le comédien n'en avait pas fait une tribune en faveur de son jeu exubérant, sidérant quiconque ose poser les yeux dessus. Encore aujourd'hui, il reste une compilation de cabotinages unique en son genre, au sein de laquelle résiderait peut-être la clé de compréhension de la méthode Cage, si toutefois elle existait.

 

Embrasse-moi vampire : photo, Nicolas CageLe Cage aux fous

 

Uncaged

Au crépuscule des années 1980, Nicolas Kim Coppola n'a pas totalement fait ses preuves. Il a commencé au début de la décennie dans quelques comédies adolescentes (Fast Times at Ridgemont HighValley Girl), puis s'est diversifié en partie grâce à son oncle, Francis Ford Coppola, bien qu'il se soit débarrassé de son nom, au profit du pseudonyme Cage. Depuis 1984, il est apparu aux côtés de Sean Penn, Matthew Modine, Kathleen Turner et Cher. Outre Coppola, il a commencé à collaborer avec des cinéastes de talent, comme Alan Parker, qui lui a confié son premier vrai grand rôle, ou bien entendu les frères Coen, qui l'ont laissé s'amuser en tête d'affiche de leur deuxième film Arizona Junior.

Une filmographie plutôt fournie, quoique parfois inégale (si vous ne connaissez pas La Race des champions, c'est normal). À cette période, Cage n'est pas encore connu pour ses pétages de câble. Passionné par les écrits de Stanislavsky, il aimerait pouvoir faire preuve à la fois de sobriété et d'exubérance, histoire de donner le change. Mais il attend encore d'avoir l'autorisation de se lâcher.

 

Holly Hunter : Photo Nicolas Cage, Arizona juniorLa belle moustache d'Arizona Junior

 

Pourtant, il fait déjà parler de lui. Pendant la production de Peggy Sue s'est mariée, ses audaces insupportaient Kathleen Turner. Selon l'acteur Sam McMurray, interrogé par Insider, il aurait écrit "Demain, tu vas mourir" sur une serviette à une adolescente qui lui demandait un autographe lors du tournage d'Arizona Junior. L'acteur refusait alors de dévoiler ses méthodes, mais débarquait sur le plateau avec des tonnes d'idées... pour la plupart rejetées par les frères cinéastes. « J'ai appris à quel point il est difficile pour eux d'accepter une autre vision d'artiste. Ils ont une nature autocratique » a-t-il glissé à David Edelstei. « L'artiste » brule de s'exprimer.

Il tente donc une nouvelle extravagance. Sur le tournage d'Éclair de Lune, film à récompenses de 1987, il décide d'imiter la voix grave de Jean Marais dans La Belle et la Bête, pour donner des airs de loup grognant à son personnage de boulanger séduisant. « Je parlais comme ça dans le film. J'ai reçu un appel du réalisateur Norman Jewison et il a dit : "Nicolas, les dailies [images filmées le jour même] ne marchent pas". Et puis j'ai commencé à entendre les noms d'autres acteurs et je me suis dit que j'allais être viré. J'ai rapidement dû laisser tomber Jean Marais ». Regrettera-t-il en 2014 dans les colonnes de The Talks. Nicolas Cage ne demande qu'un projet où il pourra laisser libre cours à ses idées les plus baroques. Ça ne saurait tarder.

 

Embrasse-moi vampire : photo, Nicolas CageLe début de la fin

 

Le lion s'associe avec le cafard

Quand il reçoit le scénario de Vampire's Kiss (titre américain), petite production de moins de 2 millions de dollars de budget sur un petit bourgeois américain qui sombre dans la folie, il est forcément très intéressé. Son agent, beaucoup moins. Selon lui, c'est un très mauvais choix après les honneurs d'Éclair de Lune, qui a remporté 3 oscars, dont meilleure actrice et meilleur second rôle.

Il est d'autant moins rassuré que le projet est de plus en plus fragile. Joseph Minion, alors connu pour le scénario du After Hours de Scorsese, l'a écrit seul dans une chambre d'hôtel de La Barbade et il envisage de le mettre en scène. Dennis Quaid était pressenti avant d'aller faire L'Aventure Intérieure, et Cage est très motivé pour le remplacer. Seulement voilà : finalement, Minion décide de ne pas s'occuper de la réalisation. Les producteurs, paniqués, recrutent un habitué de la pub, Robert Berman. Sous pression, Nicolas Cage abandonne, quelques jours à peine après avoir rencontré le pauvre nouveau réalisateur.

 

Embrasse-moi vampire : photo, Nicolas CageComme un lundi

 

Mais tandis que les exécutifs cherchent à lui trouver un remplaçant (ils auraient rencontré Judd Nelson et Steve Martin), il est pris de remords. Et s’il passait à côté de l'opportunité d'enfin laisser s'exprimer son talent à cause de son agent ? Après environ un mois, il rappelle tout penaud Bergman, dont les patrons avaient entendu parler de ses regrets. Le lendemain, il est réengagé, pour le plus grand plaisir de tout le monde. Et il va se donner à fond. Vraiment à fond.

Dès les premiers jours, au visionnage des rushs, les producteurs sont satisfaits, mais interloqués. Ils se tournent vers le cinéaste pour lui demander pourquoi Cage joue avec cet accent. "Non, c'est bien !", le défend-il. Avec la bénédiction du réalisateur, qui le laisse terroriser des passants lambda dans les rues de New York, l'acteur expérimente quotidiennement, chorégraphie ses accès de folie. Pour l'une des premières scènes, au cours de laquelle une chauve-souris débarque dans la chambre où il a emmené sa conquête du soir, il envoie son assistant capturer un vrai animal dans Central Park, l'effet spécial n'étant pas fonctionnel. Lorsqu'il dévaste sa chambre, il détruit du vrai mobilier.

 

Embrasse-moi vampire : photo, Nicolas CageAprès une journée à courir après des passants avec un pieu en bois

 

« Je suppose que je pensais qu'il pouvait y avoir une nouvelle expression de la comédie. Je m'étais gavé, étrangement, de films allemands expressionnistes de vampires, comme Nosferatu ou Le Cabinet du Docteur Caligari, et je voulais utiliser cette approche du cinéma muet », racontera-t-il dans le commentaire audio épique du DVD. Du chef opérateur au réalisateur, personne n'a beaucoup d'expérience et personne ne tempère son jeu. Il s'en donne à coeur joie, quitte à leur faire risquer un procès en entonnant spontanément un air de Stravinski. Des anecdotes du style, il y en a des tas, mais la plus célèbre – celle qui va contribuer au mythe Cage – est bien évidemment celle du cafard.

 

Embrasse-moi vampire : photo, Nicolas CageAttends, quoi ?

 

Dans le scénario, le vampire autoproclamé Peter Loew doit dévorer goulument un oeuf cru. Son interprète insiste auprès du réalisateur et contre l'avis de la productrice Barbara Zitwer pour avaler un cafard vivant. Pourquoi ? Parce que c'est sa plus grande peur, selon lui. Après consultation d'un médecin, qui conseille quand même de boire une rasade d'alcool après coup, il fait deux prises... et gobe deux insectes. C'est la première qui sera dans le montage final.

Plus tard, il avouera : « Je voulais vraiment faire quelque chose qui allait choquer le public, quelque chose d'inoubliable. Je l'ai vu comme une décision marketing, parce que j'ai vu le film au cinéma et quand les gens voient ce cafard aller dans ma bouche, c'est comme le bus qui explose dans Speed ». Une certaine idée du grand spectacle.

 

 

Mème pas cap

Le résultat est hallucinant. Sans la performance de Cage, Embrasse-moi vampire serait une demi-comédie académique. Grâce à lui, c'est un festival ininterrompu de pétages de câble d'anthologie. La critique est mitigée. Le New York Times étrille le jeu de l'acteur : « Il confère à Peter le genre de maniérisme sporadique et exagéré qui ne devrait jamais exister en dehors des exercices d'école de comédie ». Pour le Los Angeles Times, au contraire, « Cage emmène tout avec une intensité maniaque, qui fonctionne avec une certaine désinvolture, mais a du requérir une concentration et une énergie maximales – sans compter la spontanéité ». Le débat commence.

Au box-office, c'est aussi la douche froide : il se plante royalement et freine brutalement la carrière de ses auteurs. Retenu 18 mois chez son distributeur, le film connait une sortie limitée la semaine coincée entre Indiana Jones et la dernière croisade et Star Trek V : L'Ultime Frontière,  moins d'un mois avant la déferlante Batman. Cage, lui, est payé quelque 40 000 dollars, avec lesquels il achète sa première voiture de sport.

 

 

Le four n'entachera pas particulièrement sa filmographie : les années suivantes, il enchainera avec le drame de guerre Time to Kill et surtout avec Sailor et Lula, qui remportera la Palme d'or. Le grand David Lynch comprendra bien que la folie que Cage déploie dans Embrasse-moi vampire profitera à son road movie outrageux. Et ce n'est qu'une étape vers l'Oscar en 1995, puis vers les blockbusters d'action dans la deuxième partie des années 1990, qui achèveront d'affirmer sa popularité grâce à ses délicieux cabotinages.

Bien plus tard, une culture internet amusée par sa participation au remake de The Wicker Man se chargera de prélever du film de Bierman ses séquences les plus lunaires, comme cette incroyable récitation d'alphabet. À la fin des années 2000, une vidéo comportant la scène délirante où il engueule sa secrétaire en grimaçant est postée sur le web. Son visage ahuri est décalqué et intégré à des web-comics amateurs. L'un des premiers mèmes consacrés à Nicolas Cage émerge, en dépit du sous-texte très sombre du film (l'anti-héros y commet un viol). De nombreux autres suivront, au point de faire partie intégrante du symbole Nic Cage, contaminant jusqu'à ses derniers films.

 

Embrasse-moi vampire : photo, Nicolas CageYou don't say ?

 

La dégustation d'insectes est au programme de Renfield. Mais plus question pour l'acteur d'avaler un nouveau cafard. « Je ne le ferais plus » a-t-il admis à Yahoo !, « Je regrette de l'avoir fait ». Désormais, les bestioles sont en caramel et le comédien plus mesuré. Embrasse-Moi vampire restera à jamais une anomalie américaine, la pièce maitresse du personnage qu'il a façonné et fait évoluer avec brio. Et c'est indéniablement là sa plus grande qualité.

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commentaires
Noodles
05/06/2023 à 18:30

J'en garde un souvenir excellent souvenir plein de rires

Clarence Sterlingue
05/06/2023 à 15:45

J'avais complètement loupé ce film, je l'ai vu pour la première fois il y a quelques semaines. C'est complètement pété et Nicolas Cage est à fond, j'ai bien rigolé. Je regrette un peu cette époque ou on pouvait sortir des films aussi improbable (Renfield est beaucoup plus sage, et malheureusement assez oubliable en comparaison)

Redwan78
04/06/2023 à 01:58

Nicolas Cage inimitable. Même ses cabotinages sont cultes. Ses perruques étaient cultes mais elles sont surpassées par ses cabotinages. Il faut en profiter.

Flash
03/06/2023 à 20:51

Complètement dingue ce film.
A l’époque Cage n’était pas encore un acteur de premier plan, mais c’est sans aucun doute ce rôle qui m’a fait aimer cet artiste.