La maman et la putain : pourquoi c'est le boss final du cinéma français

Simon Riaux | 22 mai 2023 - MAJ : 23/05/2023 12:35
Simon Riaux | 22 mai 2023 - MAJ : 23/05/2023 12:35

Film révolutionnaire, devenu rare puis carrément invisible, La maman et la putain est une œuvre pour laquelle vous n'êtes pas prêt. À la fois parfaite incarnation des tropismes d'un certain cinéma d'auteur et dynamitage d'absolument tous les codes en vigueur, le monument réalisé par Jean Eustache mérite d'être redécouvert de toute urgence.

Ils sont nombreux ceux qui, ne s'approchant jamais à moins de 7km d'un film français, se le représentent comme une enfilade de clichés parisiens, une brochette de pensums philosophico-mondains où de tristes âmes deviseraient à l'infini de la merditude des choses, en se rentrant les poils devant des caméras tristes, dans des suites de vastes appartements germanopratins. Un cliché absurde, mais qu'il serait facile d'accoler à La Maman et la Putain, tant toutes les spécificités du film semblent répondre précisément à ces stéréotypes.

Récit intimiste, filmé en grande partie en intérieur, reliant un homme, sa compagne et sa maîtresse, à la faveur de longs dialogues parfois éminemment littéraires, pendant presque quatre heures, le long-métrage constitue pourtant un point de rupture essentiel dans l'histoire du cinéma, un choc dont l'audace et l'impact se font encore sentir, un demi-siècle après une présentation au Festival de Cannes qui se mua en véritable tornade. Mais pourquoi donc cette proposition, pas forcément engageante sur le papier, est-elle restée à ce point légendaire, pour tant de spectateurs, de cinéphiles, de scénaristes, de comédiens et de réalisateurs ?

  

La maman et la putain : photo, Jean-Pierre Léaud, Françoise LebrunUn plan à 3h40

 

DANS LA LÉGENDE

Certains connaissent l'ouvreuse, d'autres la secrétaire. C'est le cas de Jean Eustache, dont l'épouse travaille aux Cahiers du Cinéma. Ce cinéphile use tous les week-ends les bancs de la Cinémathèque, travaillant la semaine comme ouvrier spécialisé à la SNCF, un emploi qu'il trouvé après l'obtention d'un CAP d'électricien. Ainsi va-t-il fréquenter avec assiduité les jeunes Turcs de la Nouvelle Vague, jusqu'à se lier avec Rohmer, Douchet, Godard, Paul Vecchiali ou encore Jean-Pierre Léaud. Tant est si bien qu'on retrouve dès 1962 le jeune homme sur les tournages de ces derniers, observant, assistant, prêtant main forte.

Petit à petit se forge un désir de cinéaste, un univers d'une extrême singularité, mais dont la concrétisation n'a rien d'une évidence. Navigant entre autofiction et documentaire, Eustache réalise ses premiers courts et moyens-métrages. Sa proximité avec quelques pontes du cinéma français lui assure une micro-visibilité au sein de l'intelligentsia parisienne, mais guère plus. Il faut dire que le natif de Pessac ne bénéficie pas comme ses mentors ou amis d'une préalable carrière journalistique qui l'aurait assis en tant qu'observateur identifié du médium cinéma, et il peine donc à être identifié comme un metteur en scène en devenir.

 

La maman et la putain : photo, Jean-Pierre LéaudUn film avec du beau monde

 

Eustache voudrait passer au long-métrage, mais rien n'y fait. L'impétrant bénéficie pourtant de la bienveillance de ses pairs, il réalise ainsi en 1965 Le Père Noël a les yeux bleus, en partie grâce à des chutes du film Masculin, féminin de Jean-Luc Godard. Mais sa carrière patine, comme sa propre existence où s'entremêlent divorce, histoires d'amour en forme d'impasse et difficultés à transformer ses réussites au format cours en projets de long-métrage ambitieux.

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commentaires
ton pote
27/05/2023 à 10:02

un film génial, tout simplement. Bravo à écran large de mettre en avant ce type de cinéma (qui espérons surnage dans la tambouille netflix et/ou marvel "èmciyou")

C.Kalanda
24/05/2023 à 10:03

Vu suite à votre article (merci). J’avais découvert la nouvelle vague dans ma vingtaine, vu « une sale histoire » à cette époque. J’y étais totalement hermétique, lui prêtant les défaut que vous décrivez en intro. Il faut dire aussi qu’à 20 ans ma culture et mes goûts tournait plutôt autour du cinéma américain ou des films de Kounen, Belvaux, Jeunet, etc…15 ans plus tard, parisien, une culture littéraire acquise et la « simplicité » du quotidien acceptée, je découvre aimer les films de Mourret, et de Jean Eustache…Dans 15 autres années j’écouterai du Mozart…
Quant au jeu des acteurs, c’est une passionnante question. Jouent ils ainsi, ont il cette diction car c’était celle de l’époque, celle de ce style de film ou leur « croyance » qu’elle était distinguée et sophistiquée ? Les acteurs parlaient ils comme les gens de l’époque où les gens de l’époque, de toute époque, parlent ils comme les acteurs, pour leur ressembler? L’œuf et la poule…A ce titre le passage du film sur l’émission de radio, où Leaud parle justement de la diction monocorde du présentateur comme d’une qualité, et de sa volonté de lui ressembler, est assez indicatif.

Bubble Ghost
23/05/2023 à 01:19

3h40 ^^

Winslow
13/06/2022 à 12:04

Oui, Jean-Pierre Léaud n'est pas un grand comédien, mais je trouve que son jeu le rend amusant. Surtout dans les comédies comme la saga Doinel de Truffaut.

Ankytos
12/06/2022 à 20:55

Mon souci, ce serait Jean-Pierre Léaud que je trouve très mauvais comédien. Je pense n'avoir jamais entendu une réplique sortir de manière convaincante de sa bouche. Mais ce ne doit être qu'un point de vue puisqu'il a ses admirateurs.
Tout existe.

Jeff
12/06/2022 à 19:18

J'ai vu des extraits dans "Le Cercle" : ça a l'air hyper mal joué.. 3h45 en N&B pour voir des "acteurs" dirent des inepties qu'ils ne comprennent même pas, c'est lourd..

Poirot528
12/06/2022 à 18:21

@Kyle Reese. C'est marrant, même quand tu n'a rien à dire, il faut que tu commentes. :)

Perso, je suis tombé sur ce film une fois sur Arte, j'ai tenu cinq minutes, ça parle trop tout le temps d'un ton monocorde, c'est chiant.

RobinDesBois
12/06/2022 à 16:52

Magnifique, un chef d’œuvre. Mon préféré est le bouleversant « mes petites amoureuses ».

Dirty Harry
12/06/2022 à 12:06

Un incontournable, et pourtant tout est là pout faire fuir (des personnage nombrilistes qui parlent de leurs petits déboires amoureux dans des deux pièces-cuisine, une caméra-témoin qui fait office de video surveillance...), malgré tout ça, Jean Eustache scotche le spectateur durant 3h. J'aime beaucoup aussi sa "Sale Histoire".

Ray Peterson
12/06/2022 à 11:01

Un chef d'oeuvre! Incompris à sa sortie ce film méritait une ressortie. Revu à mon cinéma préféré et c'est encore d'une modernité bouleversante. Françoise Lebrun envoie du lourd !!!!
Elle est incroyable de talent. Une époque où on avait le courage de tourner ce genre d'oeuvre.

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