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Baby Driver : critique sous speed

Par Simon Riaux
7 juin 2023
MAJ : 26 octobre 2023
33 commentaires

Encore souvent appréhendé via le prisme de la comédie geek goguenarde, Edgar Wright a prouvé caméra à la main qu’il était bien plus qu’un ventilateur de références pop en marquant les esprits avec un surréaliste Scott Pilgrim. Après avoir été éjecté d’Ant-Man, le metteur en scène revenait au cinéma américain à l’occasion de Baby Driver, somme frénétique de ses précédents efforts et véritable déflagration cinématographique.

Photo Ansel Elgort

CORNETTO MAXIMO

Depuis l’accident de voiture dans lequel sont morts ses parents, Baby a la conduite dans le sang, mais aussi de sévères acouphènes. C’est donc pied au plancher et écouteurs vissés sur les tympans qu’il fait le chauffeur pour toute une clique de braqueurs parfaitement infréquentables. Sur le point de rembourser enfin la dette qui l’a condamné à cette existence hors des clous, il fait la rencontre d’une jeune femme pour laquelle il envisage de tout quitter.

Sur le papier, Edgar Wright entre dans le cinéma de braquage, le heist movie, par une de ses portes les plus fréquentées, à base de dernier gros coup, de rédemption romantique et de dépassement d’un trauma originel. S’il s’empare avec appétit de tous ces stéréotypes et les revisite sans une once d’ironie post-moderne, il va néanmoins user d’un stratagème aussi simple que puissamment radical pour en repousser toutes les limites et faire exploser le genre de l’intérieur.

On se souvient que depuis Shaun of the Dead, Wright parsème son cinéma de figures de style convoquées à chaque film et réinterprétées sans cesse, de mécaniques en apparence absurdes, pour extraire de ses récits un sens inattendu et nous propulser dans d’inclassables terrains de jeux. Pour ce faire, il use cette fois d’un ingrédient souvent brandi comme un simple gadget : la bande-son et son mixage sonore.

 

Photo Jon HammJon Hamm, flippant

 

AUTO TUNE

Baby interagit avec son environnement essentiellement via la musique, qui lui permet de suivre le fil de son existence, et de garder la maîtrise des évènements (voire le brillant gimmick des chansons à relancer pour que les braquages se déroulent sans accrocs). Évènements totalement chaotiques, que seule la musique l’autorise à agencer de manière cohérente. Wright prend ce principe scénaristique au pied de la lettre et choisit de mettre son, découpage, montage et photographie au diapason du cerveau supersonique, mais à la perception azimutée de son héros.

 

Photo Jon Hamm, Ansel Elgot, Jamie FoxxJamie Foxx

 

Baby Driver se transforme ainsi en un incroyable remix, qui mélange avec une habileté prodigieuse les différents niveaux de perception. Quand les tubes qui constellent l’immense majorité des longs-métrages, à fortiori ceux qui entendent imposer un style identifiable, ont tendance à tourner au clip artificiel, le réalisateur fait le choix fort de n’avoir recours qu’à des musiques intradiégétiques. Nous percevons ainsi la phénoménale bande-originale que se compose Baby (Ansel Elgort), le grondement de son moteur, le raclement de ses pieds sur les pédales et les dialogues fleuris de Wright, tous mêlés en un surpuissant maelstrom.

Sans maîtrise, le résultat pourrait n’être qu’un insupportable capharnaüm, mais l’artiste fait de ce dispositif un véritable moteur à explosion. Sans jamais sacrifier à la réalité ni à l’impact émotionnel, il échafaude ainsi des séquences supersoniques, fusillades acidulées où les détonations prennent le rôle des basses, joutes verbales où les claquements de langue scandent des standards de rock, distordant notre perception et nous poussant jusqu’à un état d’excitation inédit.

 

Photo Jamie FoxxUn peu d’humour aussi

 

AUDIOSLAVE

Ce puzzle sonore, dont l’apparente anarchie sublime des trouvailles qui confinent au prodige, lui permet de solliciter tout son kaléidoscopique talent de pur metteur en scène. Si Wright a toujours pris soin d’émailler ses métrages de codes couleur, tantôt discrets tantôt criards, il use ici du procédé pour souligner, annoncer, remodeler le sens des sons qui traversent nos oreilles, et transformer la grammaire cinématographique en un matériau souple, protéiforme.

On s’amusera ainsi à voir comment il orchestre l’affrontement de véritables plages colorimétriques, comment la couleur jaune vient soudain parsemer l’écran à la manière d’une ponctuation folle, le temps d’un plan séquence qui convoque aussi bien l’indolence de l’âge d’or des comédies musicales que les chorégraphies surtendues de Scorsese. Une furie plastique qui l’autorise fréquemment à dévier du côté de visions inouïes, qui convoquent parfois jusqu’au Giallo, lorsqu’un halo rougeoyant embrase le visage d’un Jon Hamm incandescent.

Cette folie esthétique, Edgar Wright l’injecte jusque dans son scénario, qui d’un récit criminel ultra-balisé va progressivement virer à la chronique d’une émancipation familiale, et pulvériser de l’intérieur les clichés inhérents au genre. Exception faite du personnage, efficace, mais un peu convenu, de Jamie Foxx, chaque protagoniste se voit donner l’opportunité de dévier du chemin attendu.

 

Photo Ansel Elgort, Eiza GonzalezL’amour en musique

 

À la manière du Mad Max : Fury Road, Baby Driver repousse les limites de son médium, non pas en proposant une œuvre réflexive ou un condensé théorique, mais en s’emparant de ses éléments de langage les plus universellement partagés pour en repousser le sens. Baby Driver est un pur film de braquage, qui s’échine et réussit à offrir à son spectateur une overdose d’adrénaline, d’émotion au cours d’un grand spectacle tel qu’on en découvre une petite poignée par décennies.

La profondeur du film tient dans la maestria jubilatoire dont fait preuve son réalisateur, qui impose au 7e Art un mètre étalon de divertissement assorti d’outils stylistiques qu’il ne tiendra qu’à une nouvelle génération d’auteurs de retravailler et d’amplifier. En l’état, Baby Driver est une plongée en apnée dans un torrent d’action musicale en surrégime permanent, une montée en puissance inarrêtable, qui perdure longtemps après le silence insondable qui conclut la projection. 

 

Baby Driver : Affiche

Rédacteurs :
Résumé

Edgar Wright convoque toute la folie cinétique de sa mise en scène pour livrer un météore qui nous laisse dans un état de sidération extatique.

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Pseuré

Résolument plus Baby que Driver.
Scénario inepte (on ne croit une seconde à aucun des personnages) qui flirte avec le ridicule en permanence (les braqueurs s’habillent en Armani noir, lunettes noires pour entrer dans la banque, genre on n’est pas du tout repérables, on est juste cool), ellipses temporelles qui arrangent bien le scénariste et le monteur, foutage de gueule final avec le méchant qu’est mort, mais en fait non, il est pas mort (deux fois – heu, seriously ?), toute la police de la ville au cul et soudain bim bam bom y’a plus personne … Si j’étais méchant, je dirais que ça fleure bon son Luc Besson à l’américaine. Manque que l’Audi …

C.

C’est creux.

Miss M

Un très bon film : divertissant à souhait, du son qui envoie du pâté de fois gras, des acteurs qui s’amusent comme des petits fous à l’écran.

Cidjay

Pas le meilleur Wright mais clairement dans le haut du panier !
Le fond étant « Last night in Soho ».
un bon film que je recommande vivement

Solan

Je profite de cette remise en avant de l’article pour clamer mon affection pour ce film. Certes imparfait (notamment dans le montage d’une des meilleures cascades du film), il a un charme immense. J’adore particulièrement la relation entre le chauffeur et l’ancien trader devenu gangster. Vraiment bien construit, et plus intéressant encore à chaque visionnage. Et quelle musique !

Flo

Edgar Wright, cinéaste pour qui le monde entier est dangereux, et il faut toujours trouver un moyen pour y survivre.
Et là, on est dans une évolution qui va casser ses habitudes :

« La Nuit de l’iguane » de John Huston l’avait fait dans une scène de baston d’une minute, Edgar Wright le fait pendant tout un film : un film de braqueurs professionnels – avec l’impossibilité habituelle de prendre sa retraite – grosso modo mélange de « Driver » et « Cry Baby » mais chorégraphié en chansons.
De l’un, conducteur tentant de ne pas s’impliquer alors que c’est impossible, de l’autre une amourette pour gentil bad boy.
Après les morts-vivants, les sociétés secrètes, les aliens, les boss de niveau… et toujours en devant faire face à ses responsabilités…Comment s’en sortir ici pour le héros, aussi cloisonné dans son monde que le réalisateur Wright pourrait l’être ?
En utilisant la solution à son handicap acouphène, la musique et les chansons, pour acquérir un rythme lui permettant de fluidifier ses actes, être insaisissable. Sa conduite automobile n’étant pas son principal talent mais une extension naturelle de lui-même, bien plus réussie que les exactions des derniers « Fast and Furious ».

Le travail est à l’écran, l’exigence est poussée, le scénario est limité à l’essentiel (rien ne vient remettre en cause l’histoire d’amour, tant pis pour sa petite naïveté, et les 2-3 blagues foireuses).
C’est un film-film, complètement américain avec ses gangsters excités sans ne plus avoir à s’injecter de façon Pop dans une culture du Commonwealth, et jouant avec des pures archétypes – ceux dont les initiales sont en B cherchent à s’imposer, ceux en D représentent l’affection, tous avec des pseudonymes qui sont un autre moyen pour eux de se réinventer, de ne jamais être pris.
Un peu cartoon, très cool, avec quelques retournements (le véritable antagoniste final n’est pas celui qui est tout le temps menaçant et agaçant… c’est en fin de compte celui qui représente un miroir sentimental).
Et toutes les chansons sont soigneusement choisies, créant le rythme plutôt que se calant sur l’action. Une idée pourtant d’une évidence folle – certes, il faut aussi les droits d’utilisation.
Bref un film qui assume d’avoir une identité personnelle, se permettant d’avoir une pause au milieu, doux et mélo, et de ne pas avoir une sympathie confortable.
À part et précieux.

Decebe

Un excellent film avec un parti pris unique : mettre en scène et découper en fonction de l’excellente bande son. Tout le monde y est excellent même simJame Foxx est à la limite de la caricature. D’ailleurs, si je ne me trompe pas, le plus gros succès de Wright qui démontre une fois de plus le grand conteur d’image qu’il est.

Y Boy

Ce film est culte. Pour une simple raison, tous ceux qui se frotteront à cet exercice de style à l’avenir subiront automatiquement la comparaison : « C’est comme dans Baby Driver ! »

Mais je ne vois pas quel réal aurait le talent pour faire mieux à l’heure actuelle.

greg67

Je l’ai revu la semaine dernière au moins 4 ans après la première fois.
Je l’ai trouvé meilleur la deuxième fois. Mais il y a quand même un ventre mou au milieu qui casse le rythme. D’ailleurs la 1ère fois je m’étais endormi au milieu.

Bref pour moi un bon film qui ne veillira pas, mais 20min de durée en trop…

Faurefrc

Un bon film… certes, hyper bien réalisé et totalement maîtrisé (je ne comprends pas ceux qui osent le comparer à un Tv film) mais qui ne laisse pas un souvenir impérissable… car pas grand chose à raconter et pas assez disruptif quand on le compare à Drive. D’ailleurs pour moi, c’est un peu l’enfant mutant de Drive et d’un film de Tarantino qui éprouverait qq difficultés à s’affirmer.
Bref, assez difficile à noter.

Ps : merci d’éviter de le comparer à Heat