L'Affaire SK1 : critique meurtrière
Serait-il en train de se passer quelque chose dans le no man’s land artistique que constitue le cinéma populaire français ? Sorti aujourd’hui dans les salles, L’affaire SK1 est le deuxième film de tueur en série français à partir d’un fait-divers pour se lancer dans une auscultation du mal, deux mois seulement après le solide La prochaine fois je viserais le cœur, dont le film de Frédéric Tellier se pose comme le négatif complémentaire
Là où Cédric Anger procédait par immersion dans la psyché du tueur, Téllier adopte la démarche inverse en relatant la traque de Guy Georges, premier tueur en série répertorié sur le territoire, et dont le procès est monté en parallèle avec l’enquête tortueuse qui aboutit à son arrestation. Un dispositif narratif audacieux, mais qui peine à justifier sa raison d’être dans sa première partie, à l’image d’un film qui semble d’abord inhiber sa proposition de cinéma. Comme s'il s'agissait de renoncer à tout point de vue de mise en scène pour offrir une tribune aux témoins du drame, figés dans le recueillement sentencieux véhiculé par des scènes de procès dignes d’une fiction télé, ou une succession de vignettes intimistes éculées forçant une empathie artificielle avec les personnages.
Or, c’est lorsque que le film abandonne l’angle du fait-divers (pourvoyeur d’un nombre incalculable de linceuls artistique en France) pour embrasser son sujet qu’il bifurque vers des terres autrement plus fécondes, à mesure qu’il tisse la toile d’araignée procédurière dans laquelle vont s’engluer les enquêteurs. De l’accumulation d’indices contradictoires en fausses pistes, de suspects potentiels en victime éplorées, le réalisateur dilate la temporalité pour enfermer les personnages dans leur obsession dévorante, donnant corps au labyrinthe tapissé d’informations parfois contradictoires que constitue l'enquête.
Par un usage acéré et immersif du montage (on pense parfois à L’étrangleur de Boston, de Richard Fleisher), le film illustre ainsi la propagation progressive de cette aliénation à l’ensemble de la société française, orchestrant son crescendo jusqu’à cet instant où le film oppose l’effroyable banalité du mal à l’hystérie apaisée de ses chasseurs, à travers une confrontation finale intense entre Guy Georges et le flic qui initia l’enquête (mention spéciale à Raphaël Personnaz et Amada Niane, tout deux au diapason). Sans doute le point d’orgue d’un film qui, en offrant ainsi un visage tristement humain au monstre, antidate ce moment où la société française fut mis en présence du chaos le plus tristement ordinaire.
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(3.0)