Critique : A touch of sin

Chris Huby | 12 décembre 2013
Chris Huby | 12 décembre 2013
Jia Zhang-Ke perpétue son analyse de la Chine à l'heure de l'ultra-libéralisme. A touch of sin veut démontrer que les changements brutaux effectués dans le pays ne se font pas sans heurts sur les hommes et les femmes. Alors que l'unique référence sociale de la population est devenue l'argent, les individus n'en sortent que plus déroutés. En manque de repères, ils survivent et réagissent comme ils peuvent.

Le cinéaste n'en est pas à son coup d'essai. De Plateforme à Still Life, tous ses films exposent l'ambiance dépressive et délétère de l'Empire du Milieu. Le ciel est constamment gris, les paysages sont factices, perpétuellement en ruine ou en construction et qui donnent toujours une impression d'abandon. L'œuvre qui est en route depuis une quinzaine d'années est l'une des plus intéressantes qui soit sur la modernité chinoise et sur ses effets sociaux directs. Toutefois, on note un changement, A touch of sin s'écarte de l'onirisme léger qui habillait les anciens films pour laisser place à une violence crue. Cette dernière a d'ailleurs poussé certains critiques à ranger le métrage dans la catégorie du « genre » lors du dernier festival de Cannes, ce qui est sans doute mal connaître les thématiques de l'auteur qui a toujours distillé celle-ci depuis le début de sa carrière. En réalité, la brutalité de certaines scènes n'est qu'une évolution de la vision du cinéaste chinois, il ne s'agît pas d'un virage à 180 degrés, loin de là. De social, son cinéma devient ici engagé, et ce n'est que logique.

Alors que les personnages craquent du fait de leur situation inextricable, symbole d'une Chine sociale en bout de course, leur seule solution est d'en venir à la violence pour se faire entendre. Sur l'écran, le sang fait donc son apparition dans chacun des quatre segments. Mais plus symbolique qu'horrifique, il pousse à la réflexion, tout comme la folie du héros de Still Life supposait en son temps que le travailleur exploité subissait la pire des conditions.      

Egalement documentariste, le réalisateur s'approche de ses sujets en les analysant le plus directement possible : individus sociaux confrontés à des problèmes extérieurs insurpassables, les personnages sont suivis de manière froide et sans jugement. Le reste n'est que conjoncture. Le scénario divisé en quatre histoires distinctes ne sert que le propos de démonstration sur l'injustice du présent. Quatre situations qui se croisent : le mineur réduit à la pauvreté et à l'humiliation dans son village, le voleur de grand chemin en quête d'identité, la prostituée qui essaie de changer d'existence et le jeune ouvrier qui se bat pour faire respecter sa dignité. Chacun d'eux tentera de s'en sortir, par tous les moyens, et surtout de la manière la plus solitaire qui soit, rappelant au spectateur que l'idée du communisme est loin derrière : les statues de Mao s'écroulent, l'armée féminine sert de symbole à la prostitution chic, etc. Aujourd'hui, l'homme utilise l'homme et l'Etat est hypocrite. 

L'impossible identité pousse ainsi l'individu à se saccager selon Jia Zhang-Ke. C'est un fait établi que l'écrasement des villes et leur surpopulation n'a de cesse de conditionner les esprits à vivre sur le fil du rasoir. Il n'est donc pas étonnant de voir que les personnages en quête de sens du cinéaste n'arrêtent pas de voyager, physiquement et moralement, au travers d'une Chine qui va trop vite et qui abandonne derrière elle ceux qui la construisent.

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