Le Cinquième Pouvoir : Critique

Laurent Pécha | 1 décembre 2013
Laurent Pécha | 1 décembre 2013

Sans surprise, Le Cinquième pouvoir et son récit consacré à un événement dont les répercutions se propagent encore, ne peuvent revendiquer une quelconque hauteur de vue et ne tentent d'ailleurs jamais d'analyser le phénomène qu'ils traitent, sinon à leur corps défendant. Le récit s'avère correctement mené, les enjeux clairement établis quoique souvent simplifiés à outrance. L'ensemble se suit sans déplaisir, grâce à une mise en scène aussi générique qu'impersonnelle, néanmoins parfaitement fonctionnelle et servie par un beau casting. Rien de nouveau sous le soleil donc.

Et pourtant le film de Bill Condon, à défaut d'être un grand moment de cinéma est un objet d'étude intéressant, le témoin involontaire d'un certain état du monde occidental et de ses élites. Voué aux gémonies par Julian Assange lui-même depuis de longs mois, le récit s'efforce de marier deux orientations inconciliables : d'un côté la reconnaissance de l'impact de Wikileaks et son adoubement, de l'autre l'attaque en règle contre son principal instigateur. Le scénario se basant notamment sur les écrits de Daniel Domscheit-Berg, le livre comme le film font de l'activiste aux cheveux blancs un individu hautain, autiste, méprisant, mégalomane, mythomane, manipulateur, un déchet irrécupérable, toujours tenté de transformer un projet idéaliste en vendetta numérique, au risque de mettre en péril des vies innocentes.

 

 

C'est autour de cet axe que va s'opérer la bascule fondamentale du film, grâce à un arc narratif totalement artificiel et gentiment croquignolet, qui met en scène une attachée diplomatique américaine, prête à tout pour sauver un contact libyen, homme progressiste et formidable que les révélations d'Assange menacent directement. Ainsi le film nous explique-t-il sans trembler que si Wikileaks n'a pas provoqué un carnage sans nom, c'est grâce aux efforts de l'administration américaine, toujours désireuse de sauver des vies. En effet Le Cinquième pouvoir ne prend pas le risque d'attaquer ouvertement son personnage principal, au risque de s'aliéner un public pas franchement hostile à ce que l'on sorte les cadavres du placard, il convient donc de le minorer, de le mettre sous tutelle.

Le traitement du journalisme dans le film est à ce titre édifiant. Dès le pré-générique, qui représente l'évolution du verbe et de l'information depuis les premiers hiéroglyphes jusqu'au codes alphanumériques et la disparition de Newsweek, le film nous assènera régulièrement et sans grande subtilité qu'Internet assassine littéralement la presse. Cette dernière va se voir vengée par le personnage de Nick Davies (David Thewlis) journaliste d'investigation au Guardian, qui encadre et diminue l'ampleur du cataclysme provoqué par les révélations de juillet 2010 (91 000 documents militaires et 250 000 câbles diplomatiques), jouant ainsi un rôle de parrain, de bonne fée de l'information. D'ailleurs, heureusement que les petits gars du Guardian sont là pour sauver la situation, puisque comme nous l'apprend le récit, avant d'insister lourdement, Assange ne se serait jamais remis de l'influence d'une secte où sa mère le précipita encore enfant. 

 

 

Non seulement Bill Condon assimile ainsi le père de Wikileaks à un mélange de gourou et de blogueur irresponsables, mais il va plus loin. L'ultime séquence est une mise en scène à la fois naïve et vertigineuse : face caméra, Benedict Cumberbacht interprète Assange apprenant que se tourne un long-métrage consacré à sa personne. Et le film de révéler son véritable but, digérer tout à fait une icône subversive, lui substituer un double de fiction goguenard, ce qui revient de facto à l'effacer. Mettre en scène la morgue de cet homme prisonnier d'une petite chambre de l'ambassade d'Équateur, inclure dans le film sa détestation de l'entreprise, c'est lui adresser un doigt d'honneur total, lui signifier avec un sourire carnassier qu'il a perdu, que les conteurs ne sont pas morts et pourront mettre en scène jusqu'à son dernier souffle. C'est sans doute vendre la peau de l'ours bien trop tôt, tant on serait tenté de voir dans Le Cinquième pouvoir l'aveuglement typique des vieux colosses aux pieds d'argile.

 

Résumé

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