Critique : Tito on ice

Nicolas Thys | 7 juillet 2013
Nicolas Thys | 7 juillet 2013

Pour saisir pleinement les enjeux d'un film comme Tito on ice, connaître l'histoire récente des Balkans est recommandé. Mais, on peut aussi très bien s'en passer et suivre ce documentaire animé totalement loufoque en ne sachant que le minimum. L'idée est simple : Max Andersson est un auteur de bandes dessinées suédois (ses albums sont parus en français chez L'Association) qui a gagné en 1991 plus d'un kilomètre de pellicule 8mm qu'il a laissé trainer dans son congélateur. En 1999, son coauteur, Lars Sjunnesson, et lui sont à une convention BD en Slovénie au moment où l'OTAN bombarde la Serbie. Ils voyagent alors dans les Balkans avec le son des bombes derrière eux et, de cette aventure, résulte un roman graphique Bosnian flat dog.

En 2003, les deux auteurs sont invités pour une tournée dans les pays d'ex-Yougoslavie afin de présenter leur ouvrage. Ils partent, accompagnés de Helena Ahonen, une documentariste qui filmera leur périple, et d'une momie de l'ancien dictateur Tito qu'ils ont recréée et placée dans un réfrigérateur. Tito, mort en 1980, a dirigé la Yougoslavie pendant plus de 35 ans et il jouit encore maintenant d'une aura forte auprès de la population. Il fût d'ailleurs l'un des piliers majeurs de l'unification de la Yougoslavie malgré les tensions communautaires et sa mort aura donné une impulsion à l'éclatement.

Se promener partout dans plusieurs pays récemment indépendants, en proie à des tensions politiques et religieuses fortes, avec une momie de l'ancien dictateur qui figurait déjà dans Bosnian flat dog, était donc un pari étrange et risqué. Et il en résulte un film très particulier qui retrace à l'aide d'interviews d'artistes, de personnalités majeures de la culture dans ces pays, et de lecteurs de bandes dessinées lambdas, un portrait de l'ex-Yougoslavie d'après guerre comme on en avait encore jamais vu. Ruines, décombres, musique underground, panorama culturel, nostalgie, vénération de Tito et humour décapant sont présents avec quelques séquences cultes, notamment lors d'un passage à la frontière en voiture où des militaires se demandent ce qu'ils doivent faire de ces drôles de personnages avant d'appeler leur supérieur.

Où est l'animation là dedans ? Le film a été fait rapidement, sur le vif pendant les rencontres dans chaque ville avec des lecteurs de Bosnian flat dog ou avec des gens qui les invitaient. En 2006, le montage commence mais le film ne peut être terminé en l'état. Ayant plus d'un kilomètre de pellicule dans son frigo (en plus d'une momie), Max Andersson décide de les utiliser afin d'animer le reste du film et de le finir. On est donc, comme dans la bande dessinée, perdu dans un monde entre rêve et réalité, où on navigue entre une ex-Yougoslavie en carton-pâte avec des intervenants et des buildings en papier découpés, qui ont l'esthétique du roman graphique et sur lesquels on appose des voix enregistrées, et le monde réel. L'horreur est double et la confrontation entre les deux styles apporte quelque chose d'inédit, amplifiant les moments de cruauté et de beauté d'une unité perdue, d'une nation déconstruite.

Tito on ice parle finalement autant de cinéma et de bande dessinée que de politique et d'histoire. Et la superposition du documentaire et de l'animation permet d'explorer le subconscient d'une nation comme celui des cinéastes en épousant d'autant mieux leur point de vue extérieur sur la situation. C'est comme si la momie sortait du dessin de la BD pour se confronter à la réalité et ce choc, aussi absurde que perturbant, est l'un des plus retentissants que l'on ait pu voir.

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