La Féline : Critique

La Rédaction | 19 novembre 2012
La Rédaction | 19 novembre 2012

Des ombres sur le mur d'une piscine, des feulements lointains dans une rue déserte, des objets renversés dans une pièce apparemment vide... Ce sont dans les ténèbres qui échappent au regard humain et surtout à la perception du spectateur que La Féline prend sa source. Toute puissance de la mise en scène qui transcende les contraintes budgétaires et la dictature de la censure, c'est ici que le cinéma de Jacques Tourneur trouve son acte de naissance. La femme, niée dans ses désirs, n'a pas d'autre solution que de céder à l'animalité, à la jalousie, au crime. Une malédiction ? Ou l'affirmation suprême de sa liberté ? L'ambigüité de La Féline réside aussi ici. Dans la pénombre.

Le film est la réussite de Tourneur mais aussi de Val Lewton. Avant de devenir producteur Val Lewton débuta comme journaliste, romancier et poète. Il fut engagé par David O. Selznick comme relecteur et correcteur de scénarios. En 1942, Lewton fut nommé à la tête de la section « cinéma d'horreur » des studios RKO. Jaloux du succès de la Universal (Dracula, Frankenstein, etc.), la RKO souhaitait créer sa propre lignée de monstres pour des budgets modiques. Lewton se retrouva avec un salaire de 250 dollars par semaine et trois règles à suivre : chaque film devait durer moins de 75 minutes, le budget ne devait pas dépasser 150 000 dollars et les superviseurs du studio choisissaient le titre de l'œuvre eux-mêmes.

La première œuvre à naître sous de telles contraintes fut donc La Féline (Cat people) de Jacques Tourneur. Le réalisateur, alors débutant, transforma les écueils en une manière nouvelle d'aborder le Fantastique. La suggestion fut son mot d'ordre et le non-dit, sa force. L'histoire de La Féline allait donc évoquer la frustration sexuelles féminine avec crudité mais jamais frontalement. Et l'épouvante naîtrait davantage de l'imagination du spectateur que de ce qui allait être montré à l'écran.

 

 

Pour le rôle principal, Tourneur obtint la participation de Simone Simon, actrice française bilingue. Simone Simon avait été très remarquée dans deux chefs-d'œuvre : L'Heure suprême de Frank Borzage (1937) et La Bête humaine (1938) de Jean Renoir avec Jean Gabin. Après La Féline elle fit encore quelques apparitions, notamment dans La Ronde de Max Ophüls. Elle acheva sa carrière cinématographique au milieu des années 50. Elle est décédée en 2005 à l'âge de 94 ans.

Troublante et fragile dans le rôle d'Irena, Simone Simon n'hérite pourtant pas du personnage le plus érotiquement inoubliable du film. C'est à Jane Randolph, en Alice Moore, qui reste gravée dans la mémoire des cinéphiles pour avoir été la victime de la terrifiante scène de la piscine. Rarement la vulnérabilité d'un personnage féminin n'aura été aussi évidente et angoissante. C'est ce principe là qui fut d'ailleurs repris, de manière plus explicite, dans des scènes telles que celle de la douche dans Psychose ou celle de « la petite culotte de Ripley » à la fin d'Alien.

 

 

Le film fut tourné en moins d'un mois, entre le 28 juillet et le 21 août 1942 dans les studios Gower Gulch de la RKO. Le budget demeura en-dessous de 140 000 dollars. Les décors furent presque tous recyclés de productions plus prestigieuses du studio, en particulier l'escalier géant de La Splendeur des Ambersons d'Orson Welles. La situation était tellement précipitée qu'à la fin du tournage, deux équipes travaillaient à plein temps, l'une de jour, l'autre de nuit.

Val Lewton et son équipe s'attribue la paternité d'un célèbre procédé du cinéma d'horreur, dit du « bus ». Il s'agit d'une scène durant laquelle Irena suit Alice de loin. Le public s'attend à ce que Irena se transforme en panthère à tout moment et s'en prenne à Alice. Au moment le plus angoissant, quand la caméra s'approche du visage terrifié d'Alice, le silence est percé par un son qui ressemble au feulement d'une panthère. Et il s'agit en fait du bus qui s'arrête auprès de la jeune femme pour l'emmener loin du danger. Après ce dénouement, le public se demande s'il s'est vraiment déroulé quelque chose de surnaturel ou de dangereux dans cette scène. Cette technique s'est retrouvée dans d'innombrables films d'horreur depuis. Il faut faire monter la tension avant de la faire s'évanouir avec une conclusion rassurante.

 

 

Avec sa créativité esthétique et ses thèmes propres à créer le malaise, La Féline marqua les esprits et profita d'un excellent bouche-à-oreille. Les critiques furent mitigées à l'époque, depuis l'œuvre est considéré comme un classique du cinéma, par-delà le genre fantastique. Elle échappe au temps qui passe grâce à son économie d'effets spéciaux datée, à l'efficacité de sa progression dramatique et à son excellente interprétation. Les spectateurs d'aujourd'hui auraient ainsi tort de croire qu'un vieux film en noir et blanc ne pourrait pas les effrayer autant que L'Exorciste ou REC. Malgré d'inévitables aspects désuets, La Féline garde une grande part de son mystère menaçant.

Jean Noël Nicolau

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