Critique : Le Serment de Tobrouk

Simon Riaux | 25 mai 2012
Simon Riaux | 25 mai 2012
Le Serment de Tobrouk, co-réalisé par Marc Roussel mais présenté comme un film de Bernard-Henri Lévy devait nous donner à voir de l'intérieur l'aventure de la révolution libyenne. Le film devait faire la lumière sur les enjeux, les à-coups d'une guerre que la plupart des spectateurs n'auront entraperçue qu'à travers le prisme des médias occidentaux, ou via le magma de vidéos déferlant sur le web. Certes, le passif de BHL derrière la caméra (l'abominable Jour et la Nuit), et la teneur pontifiante de ses innombrables interventions écrites-télévisées-radiophoniques aurait dû nous vacciner de toute curiosité, ce vilain défaut qui nuit autant au chat qu'au critique, mais que voulez-vous, le sceau de la soixante-cinquième édition du Festival de Cannes a eu raison de notre défiance. Hélas.

Que les choses soient bien claires : Le Serment de Tobrouk ne traite aucunement des évènements historiques qui ont ensanglanté la Libye ces derniers mois. L'auteur de ces lignes serait particulièrement surpris qu'un spectateur n'étant pas au fait de la situation et du déroulé de ce conflit puisse apprendre quoi que ce soit de précis le concernant grâce au travail de ses deux réalisateurs. Car ce qui intéresse ici la caméra, c'est BHL. Point barre. C'est ce subtil hagiographe de Jean-Baptiste Botul qui occupe l'image pendant environ les trois quarts du métrage, et met en scène avec une fatuité remarquable son action décisive dans la résolution de l'inexorable massacre initié par Kadhafi. Plus qu'une démonstration, une simple énumération des énormités généreusement distribuées par le philosophe s'impose.

On y découvre donc l'intellectuel dans toute sa splendeur, occupé à se pavaner avec des tueurs de sniper, en tête du commando, à découvert, mèche grisonnante au vent. On aura l'occasion de l'admirer soupesant des obus comme d'autres des melons, invitant ses "camarades" à visiter l'entreprise Thales, dont on vante au passage les compétences d'ingénierie militaire. Bernard-Henry, jamais avare en humanisme, se précipite pour réconforter Souleiman, soldat en pleurs devant les ruines de la maison où a péri son frère, à grand renforts d'embrassades et de regards pénétrants. Quand il ne prodigue pas des conseils stratégiques aux membres du CNT depuis un jet privé, dans un anglais qui embarrasserait Jean-Pierre Raffarin, l'homme engagé s'empresse d'évoquer Sarajevo, point de comparaison quasi unique, et prisme dévorant de chaque action ou engagement. Autant d'occasions pour nous remettre une lampée d'images qui firent alors le tour des journaux télévisés français, où le pacificateur parfumé à la cordite s'engageait déjà avec force conviction.

Bernard-Henry est un documentariste généreux, et s'assure que même s'il est présent à l'écran, son impayable voix off ne nous quitte jamais. L'occasion de goûter à une logorrhée déclamée avec l'enthousiasme d'un grand cadavre à la renverse, qui annonce les images à venir, commentent celles qui adviennent, et les résument sitôt remplacées par d'autres. Sans doute désireux de renouveler une langue française par trop sclérosée, le vaillant penseur nous gratifie de néologismes exotiques (ah... l'impavide violence des "urbicides"), qui valent à elles seules le détour.

Enfin, les passages les plus pathétiques et odieux sont assurément ceux où BHL nous inflige les congratulations dont il fait l'objet. Ainsi apprenons-nous de la bouche empesée par la fumée de havane d'Ehud Barak que le héraut de la liberté n'est autre que le nouveau Voltaire ! Ce sémillant réincarné s'empresse de dévoiler les images d'une conversation téléphonique dont le montage sous-entend qu'il s'agit de la mythique conversation ad hoc entre le Voltaire next-gen et l'ex-hyper-président, sans que rien ne vienne concrètement le prouver. Tout cela serait presque supportable, n'était la victorieuse séquence du Café de Flore, où Bernard-Henry convie ses victorieux convives, ultime bras d'honneur au spectateur dorénavant averti.

On ne s'attendait pas à retrouver de sitôt les nouvelles aventures d'OSS 117 sur grand écran, mais force est de constater que Bernard-Henri Lévy compose une excellent substitut à Jean Dujardin. Après coup, la seule véritable raison d'en vouloir au film et à ses auteurs n'est pas son affolante médiocrité, mais bien l'image odieuse, voire obscène, qu'il donne de la figure de l'intellectuel. Dans la salle du Soixantième, à Cannes, où fut présenté le film pour la première fois, en présence d'invités syriens et libyens, on eut beaucoup de mal à ne pas se dissoudre de honte, devant cette représentation d'un français citoyen du monde fantasmé, hautain, emphatique, grotesque et boursoufflé. S'il est évident que le peuple libyen est entré dans l'Histoire, il est grand temps que Bernard Henri Levy en sorte.

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