Critique : Ordinary people

Nicolas Thys | 24 juillet 2011
Nicolas Thys | 24 juillet 2011
Que crée Ordinary people ?

Ces gens ordinaires du titre ne sont pas si ordinaires. Ce sont des militaires et déjà leur profession les distingue des autres. Ce qu'ils ont d'ordinaire, c'est qu'en tant qu'individu, ils sont un peu tout le monde et personne. Et tout le monde ou personne pourrait être à leur place, dans ce costume arrivé là par hasard et embrigadé dans une mascarade d'où nul ne s'échappe.

Rarement on a vu un film où il se passe tant de choses alors qu'il ne se passe rien. On pense, dans un tout autre registre sur le fond quoique le social, l'humain et le politique sont toujours au premier plan, à Akerman (qu'il remercie dans son premier court-métrage) et à Jeanne Dielman pour la forme. A ces longs, très longs plans. Vides et plein à la fois. Répétitifs. Ici le réalisateur serbe, Vladimir Perisic, ne reproduit pas le rythme extrême de la cinéaste belge. Il s'en inspire mais il épure davantage son intrigue, il ouvre son film sur l'extérieur mais un extérieur qui semble clôt et il crée, en à peine plus d'une heure dix de film, une tension insoutenable.

Le regard distant et froid du film est tout sauf neutre. Comme chez Akerman, un personnage est au coeur du film. Ici un soldat d'une vingtaine d'années, nouveau dans la brigade. Pas n'importe quelle brigade mais une où il ne semble rien lui arriver. Il fait son lit, mange, effraie un cheval pour le faire quitter la route, il somnole et s'endort au pied d'un arbre dans une campagne déserte à l'exception des militaires, déserte et aussi verte que son costume. Il se fond dans un décor, s'imprègne d'une nature qui l'absorbe.

Et il se réveille dans un monde différent. Identique mais différent. Déjà la tension était présente. Quand on voit des militaires, difficile d'imaginer qu'il ne se passera rien. L'attente se fait ressentir, l'action pourrait arriver à chaque plan. Et la tension augmente. Jusqu'à ce réveil. D'autres individus arrivent, des civils dont on ne saura rien sauf qu'ils sont très jeunes, parfois vieux et que ce sont des ennemis à abattre froidement, sans un mot. Obéissance aveugle aux ordres...

Ces longs plans fixes, ce paysage d'une beauté lumineuse et irréelle, ces cadres oppressants qui enferment les protagonistes comme s'il n'y avait aucune fuite possible, tout se transforme alors en cauchemar. Un simple geste dans cette épure de film devient ultra signifiant. Une main, un pas, et la répétition plus tard d'une balle tirée devient plus horrible que jamais. C'est l'engrenage vers le devenir assassin d'un homme innocent que le film montre et la révélation de la monstruosité de l'homme.

Finalement la force d'Ordinary people c'est de savoir créer une tension à partir de rien, de faire rêver au milieu d'un cauchemar pour mieux anéantir le spectateur avec trois fois rien. C'est d'oublier les mots, d'oublier la vie pour peindre le mouvement qui viendra détruire l'homme sans raison apparente. Le film prend et laisse une trace peut-être plus intense que tous les charniers et les combats des autres films de guerre. Parce qu'avec du néant, une lenteur mortifère et une atmosphère envoutante, il parle bien plus de l'horreur d'un monde que ne le feraient des combats spectaculaires.

Résumé

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