Critique : Institut Benjamenta (Ce qu'on appelle la vie humaine)

Nicolas Thys | 21 juillet 2011
Nicolas Thys | 21 juillet 2011
Il est étonnant de voir que les cinéastes d'animation, maîtres du mouvement et de leur décomposition image par image, lorsqu'ils passent au cinéma en prises de vues directes, choisissent l'inertie et la pesanteur comme maîtres mots. On se souvient l'année passée des Forêts du polonais Piotr Dumała et de son somptueux mais funèbre noir et blanc. C'était déjà le cas pour les frères Quay, cinéastes britanniques et marionnettistes fortement inspirés de l'univers de Jan Svankmajer, dans leur fabuleux Institut Benjamenta en 1995.


Adaptation de l'oeuvre de Robert Walser, écrivain suisse de langue allemande peu connu en France de nos jours mais admiré de Kafka dont il était le contemporain, l'Institut Benjamenta est avant tout un univers, une ambiance. C'est ce que le duo de cinéaste a bien compris et l'oeuvre correspondait parfaitement à leurs attentes. Un lieu clos d'où émerge une certaine magie, des hallucinations folles et, pour reprendre le mot de Freud, une inquiétante étrangeté parfaitement modelée par une esthétique dérangeante. Mais ce lieu clos semble s'étirer à l'infini. Impossible d'en comprendre le mécanisme, il nous échappe.


D'une pièce à l'autre, impossible de déterminer une géographie d'un lieu où seuls règnent une obscurité tenace ou une lumière aveuglante à peine perturbés par des gris fins, aqueux ou diaphane, très secs ou voilés. Un escalier et on se retrouve dans une cave voutée, un couloir et voilà une forêt au graphisme expressionniste. Et dans ce lieu morbide où règne une certaine idée de la folie, on ne rencontre que des étudiants dociles et asservis. Car l'Institut est une école de domestique et tous les jours la même leçon est ressassée. C'est un lieu où un homme au visage buriné, un parfait Gottfried John, et sa ravissante femme, enseignent aux humains ou à ce qui en reste à devenir de parfaits esclaves. Des marionnettes.


Car c'est ce qui se joue ici, un spectacle de marionnettes aux chorégraphies audacieuses, aussi drôle qu'effrayantes. Nappes qui s'envolent, marches dansées, chutes et paroles incompréhensibles, chacun de leurs gestes semble contrôlé au centimètre près, comme porté par leurs enseignants malades. Jusqu'au jour où un rouage saute. Jakob, le nouvel arrivant, a du mal à se conformer aux règles et il va, sans comprendre comment, envouter le couple dirigeant. Mais, loin de percer le mystère de ces êtres surréalistes et de leur univers, il va s'y enfoncer encore et toujours...


L'aspect politique de l'ouvrage est présent dans le film, mais enseveli sous une couche onirique et excessive du plus bel effet d'autant plus forte que le rythme est lent, comme une envolée lyrique et un rêve en suspension. Mais cette lenteur permet aussi au mouvement des acteurs de se recomposer, de former un tout solide et d'atteindre la plénitude et la grâce d'objets animés en même temps qu'elle fait ressurgir tout le mystère des décors. On retrouve chez les frères Quay les influences du Bergman du Septième sceau ou de L'Heure du loup, le Buñuel du Chien andalou ou de L'Age d'or, le côté fantasque et surprenant de Jan Svankmajer qu'ils conjuguent dans un délire visuel et sonore qui leur appartient en propre. Surréaliste et davantage encore. Quiconque a vu L'Accordeur de tremblements de terre ne pourra s'empêcher d'y penser en voyant L'Institut Benjamenta et réciproquement, les deux films se répondant dans leur récit alambiqué et leurs angoisses, dans leur rythme lancinant et leur beauté plastique incontestable.

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