Critique : Je voudrais aimer personne

Thomas Messias | 11 mai 2010
Thomas Messias | 11 mai 2010

Seize ans et déjà une vie de femme. Même pas sortie de l'adolescence, Sabrina Muller semble avoir vécu plus de choses que bon nombre de ses semblables. Il y a ce type qu'elle aime peut-être, cet enfant qu'il lui a fait, ces problèmes en cascade. Il y a ce job de femme de ménage dans un hôtel, qui arrive comme une bénédiction pour elle qui a priori ne sait rien faire... et qui va bien vite révéler sa vraie nature d'emploi répétitif et ennuyeux, fermé au monde. Sabrina trouve sa vie compliquée mais ne veut pas d'une vie simple. Sabrina tombe amoureuse et se prend de passion pour les gens, mais claironne dès le début du film qu'elle « voudrait aimer personne ». Sabrina n'est pas un personnage exceptionnel, mais le regard de la réalisatrice Marie Dumora transcende ce documentaire apparemment anodin mais bien plus édifiant qu'en apparence.


Je voudrais aimer personne, sans jamais tomber dans la généralité, fait le portrait de cette France d'en bas, vraiment en bas, qui souffre au jour le jour et se fait une montagne d'histoires de famille plus ou moins digestes mais qui, de par le total dénuement qui est celui de la famille Muller, apparaissent comme de véritables évènements faisant passer Colmar et Mulhouse pour Dallas. Mais, au-delà de cet excès qui contamine la parole et les actes, il y a chez Sabrina et ses proches une vraie gravité qui les fait ressembler à certains des personnages de Bruno Dumont : ils sont parfois assez laids, mal fagotés et couverts de tatouages sans réel sens, mais ils n'en sont pas moins des êtres humains avec une conscience, une morale, une envie d'en découdre avec cette vie qui ne leur a pas franchement fait de cadeaux mais qu'ils persistent à tenter d'aimer.


Marie Dumora les filme sans complaisance, dans la durée, refusant toute quête esthétique pour rester ancrée dans une recherche du vrai qui l'honore absolument. Le point central du film, très longue séquence représentant la journée de baptême du fils de Sabrina, va loin dans l'émotion tant la captation parvient à immortaliser le total désoeuvrement et la misère sociale qui caractérisent ces gens-là. Reste qu'il semble manquer à tout cela un peu de vrai cinéma, quelque chose qui permette à Je voudrais aimer personne de ressembler à autre chose qu'un bon reportage amateur filmé de façon un peu brouillonne par une réalisatrice balbutiante. Son regard de sociologue est passionnant ; Dumora doit maintenant affuter son oeil de cinéaste.

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