Critique : White material

Thomas Messias | 23 mars 2010
Thomas Messias | 23 mars 2010

Comment est-il possible qu'une cinéaste soit capable d'enchaîner année après année des films aussi différents tout en laissant toujours l'impression d'avoir vécu en immersion dans chaque univers pendant un bon quart de siècle ? C'est le miracle Claire Denis, toujours étonnant, sans cesse renouvelé, qu'on pourrait trouver prévisible à force d'être toujours brillant, mais qui ne cesse de nous laisser là, pantelants, dévastés par la puissance évocatrice d'un plan, la crudité d'un autre, l'absolue chaleur d'un troisième. Et ainsi de suite pendant une centaine de minutes semblant complètement libres mais ne laissant finalement pas grand chose au hasard, si ce n'est un certain abandon à cette nature si imprévisible et meurtrière. White material se démarque du reste de la filmographie de la metteuse en scène par la dureté absolue de son propos, sa rare absence de foi en une âme humaine si souvent magnifiée par le passé - notamment dans le récent 35 rhums.


Denis avait déjà montré l'âme humaine sous un jour noir et peu reluisant, mais c'était toujours par le biais du film de genre - Trouble every day - ou dans l'étude distanciée d'un rapport de force - qui n'a pas vu Beau travail doit immédiatement quitter ces lieux et aller prendre une leçon de grand cinéma. Ici, c'est un naturalisme teinté de réalisme qui caractérise cette oeuvre pleine et engagée, qui plonge comme son héroïne dans une douleur d'autant plus forte qu'elle est véhiculée par une passion sans bornes pour des êtres humains - proches ou simples employés - et pour une terre jadis riche en ressources mais désormais source de problèmes. Fidèle à son image de femme forte, austère, obstinée jusqu'au dégoût, Isabelle Huppert va plus loin que jamais dans l'exploration de sa propre noirceur. Seule à ne pas baisser les bras face à l'avalanche de dangers qui guettent désormais une région d'Afrique gangrénée par la rebellion, elle se place toute seule dans une spirale renforcée par l'abandon progressif des siens. Face à cette folie qui ne dit pas son nom, Christophe Lambert incarne le semblant de raison qui peut encore permettre de sauver ce qui est sauvable. Une lutte acharnée entre les deux personnages pourrait s'amorcer ; elle se fera plutôt dans une apparente douceur contrastant avec la terrifiante hystérie qui sévit au dehors.


Débutant magnifiquement mais de façon presque contemplative, White material finit par s'engager sans hésiter dans les esprits tourmentés de ses héros et dans la sordide réalité de cette Afrique où règnent les enfants-soldats et la loi du plus fort. Le point de non-retour est atteint depuis bien longtemps, ce que ne fait que confirmer cette mise en scène froide et implacable qui fait des personnages des lemmings qui ne se suivent que pour mieux plonger ensemble dans un précipice de désespoir. Rarement la folie aura été décrite de façon aussi crédible : contenue chez le personnage d'Huppert, elle transparaît au contraire dans les yeux et sur le corps du fils joué par Nicolas Duvauchelle, intense et grandiose, qui choisit une façon bien personnelle de résister aux pressions et aux dépressions. 35 rhums pouvait émouvoir par le positivisme pas niais dont il arrivait à faire preuve, y compris dans sa description de moments difficiles. White material est quasiment son négatif, ne l'égalant que par l'intensité absolue de l'animalité destructrice décrite par la très grande cinéaste de la dépossession qu'est Claire Denis.

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