Critique : L'Arbre et la forêt
Même si la forme et le ton ont beaucoup varié, Jacques Martineau et Olivier Ducastel ont bâti une oeuvre cohérente - à défaut d'être homogène - sur le libre arbitre sexuel et amoureux. L'arbre et la forêt est parfaitement ancré au sein de cette filmographie, revenant sur le sujet par le biais d'une chronique familiale en huis clos. C'est en fait un deuil qui va servir indirectement de déclencheur au besoin de Frédérick, septuagénaire amateur d'arbres et de Wagner, de révéler aux siens un secret caché depuis plus d'un demi-siècle. Une sorte de coup de tonnerre qui s'abat sur la cellule familiale et vient notamment remettre en cause l'image de ce chef de famille taciturne et solitaire considéré comme un salaud pour ne pas s'être rendu aux obsèques de son fils aîné. De quoi contraindre aussi chacun à reconsidérer son rapport aux autres membres du cercle - notamment le degré d'attachement et de confiance.
Si
L'arbre et la forêt touche
autant au coeur et aux tripes, ce n'est finalement pas tant par le
secret qu'il met à jour - celui-ci étant révélé assez vite - que par les
réactions que cela suscite. Le film montre avec une finesse absolue les
différentes façons de se comporter en apprenant que ce modèle paternel
n'avait pas tout dit. Les personnages évoluent presque tous à pas
feutrés entre l'impression d'avoir été trahis et l'envie de comprendre
toutes ces années de silence. Il en résulte un film toujours sur le fil
du rasoir, qui laisse la part belle à la parole pour mieux ensuite nous
assourdir par le mutisme dans lequel il s'enferme en compagnie de ce
Frédérick si délicatement incarné par un Guy Marchand à son meilleur. Le
voir écouter du Wagner à pleins tubes, bien calé dans son fauteuil, est
une image récurrente qui semble en dire plus long que bien des
monologues.
La sobriété de l'acteur s'accorde à merveille avec celle
de la mise en scène, d'une discrétion finie. La fixité du cadre accroît
l'impression d'oppression suscitée par le thème et le choix du huis
clos. Le film s'autorise à peine quelques virées extérieures, le temps
pour Frédérick ou ses proches d'aller sonder un peu cette forêt faisant
office de compagnon toujours à l'écoute, gigantesque défouloir qui
accueille mais ne juge pas. Tout se terminera autour d'un arbre massif,
symbole de la pérennité d'une famille prête à avancer et à sortir plus
forte de chaque épreuve qui se présente. On en sort groggy, renversé par
les prestations de certains acteurs - notamment François Negret,
génialement insupportable, et la doucement hilarante Catherine Mouchet -
et par la pudeur infinie de ce drame digne jusque dans ses excès.
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