Critique : C'est parti
Tout commence par un long regard sur le passé, riche en enseignements mais qu'il faut en partie laisser derrière soi. Le doc de Camille de Casabianca montre quelques membres actifs de feu la LCR (Olivier, Alain et les autres) tenter de faire du tri dans l'hallucinante quantité de dossiers poussiéreux qui encombre les armoires, plombe les étagères, empêche les ouvriers de rénover les locaux du parti et les leaders actuels de se tourner vers l'avenir. Si elle a taraudé tous ceux qui un jour ont rangé leur chambre, la question « jette / jette pas » prend ici un sens autrement plus symbolique, mais toujours rigolard. C'est cela, C'est parti : montrer un mouvement politique pris entre deux feux, désireux de ne pas trahir les manifestes d'antan tout en se donnant plus de liberté et de modernité. En bas de l'immeuble, une immense benne attend patiemment d'avaler à jamais tout un tas de documents jaunis, machine à broyer les fantômes du passé.
Peut-on véritablement parler de documentaire
politique ? Casabianca ne semble pas réellement s'intéresser à
l'idéologie, mais davantage aux hommes et aux chorégraphies politiques.
Des tables rondes interminables. Des brainstormings voués à l'échec.
Les questions des journalistes qu'on prépare non sans malice. Du calcul
à tous les étages. Ce qui n'empêche pas la sincérité. La façon dont le
monde politique nage dans une totale dichotomie a quelque chose de
fascinant et inquiétant à la fois. Les gens que montre le film sont
animés par des convictions fortes qu'ils ne veulent pas modifier d'un
iota, mais se révèlent finalement incapables de trouver des solutions
concrètes. Le message idéologique est là, et c'est à peu près tout. En
prenant son temps, sans commentaire superflu (pas de voix off), C'est parti
décrit une activité politique consistant surtout à brasser de l'air.
S'en rendent-ils compte ou non ? Le film ne répond pas vraiment, sauf
peut-être à travers ce jeune militant passionné et un peu agaçant, mais
qui exprime clairement son ras-le-bol de participer à des tables rondes
stériles aboutissant à la rédaction d'un communiqué qui finira, comme
les autres, au fin fond d'un dossier.
Et puis il y a le rôle du
leader. S'il n'en fallait qu'un, ce serait Besancenot. L'air de rien,
par petites touches, Camille de Casabianca montre que la position
occupée par le facteur neuilléen est loin d'être confortable. Quand il
voudrait partager la direction du parti, n'être qu'un élément parmi
d'autres, ses partenaires souhaitent apparemment en faire un
représentant absolu, une mascotte présente et active lors de chaque
évènement, aussi minime soit-il. Qu'est-ce qu'un meneur politique ?
Est-il là pour montrer sa trombine et faire plaisir aux militants, ou
pour prendre les décisions de fond susceptibles de changer les choses ?
Olivier semble avoir son idée, mais les vieux briscards du parti
aimeraient en faire leur instrument médiatique. Et ça coince. De toute
façon, rien n'est facile : même trouver le nom d'un nouveau mouvement
est un chemin de croix. Délicieuse scène dans laquelle un groupe de
travail planche sur cette appellation et prend tout un tas de décisions
sur ce qu'il devra signifier et éviter. Évidemment, le choix du "NPA"
ira à l'encontre de la plupart de ces principes de base.
C'est parti
est donc un documentaire éminemment sympathique, une oeuvre rigolarde
et édifiante. Un reportage d'"Envoyé spécial" version longue. Mais
malheureusement pas un film politique, ni même une vraie oeuvre de
cinéma. On ne sent pas ici le regard d'un cinéaste, un point de vue
offrant une vision différente ou amenant à mener des réflexions
infinies. Casabianca se place à hauteur d'hommes, avec ce que cela
implique de compassion malvenue et de sympathie mal contenue. Lorsqu'on
se rappelle que la réalisatrice est la fille d'Alain Cavalier, on se
prend à rêver du grand film que ce grand monsieur aurait pu tirer d'un
tel sujet. On regrette aussi qu'elle n'ait pas choisi d'intégrer son
journal personnel, à la manière de son père, dans lequel elle livre ses
réflexions quotidiennes sur le tournage. Figurant dans le dossier de
presse, celui-ci aurait permis à C'est parti
de se muer en réflexion sur le rôle du documentaire et la position du
cinéaste. Mais ce n'était pas là l'objectif de Camille de Casabianca...
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