Critique : Ne change rien

Thomas Messias | 31 janvier 2010
Thomas Messias | 31 janvier 2010
Faut-il être fan des disques de Jeanne Balibar pour pouvoir apprécier Ne change rien, le film consacré par Pedro Costa à la conception de l'un de ses albums ? Non, mille fois non. Car il ne s'agit pas d'une oeuvre "sur" la chanteuse, mais plutôt d'un documentaire le plus minimaliste qui soit, observant à distance l'élaboration de quelques morceaux. La plupart du temps dans les studios, de temps en temps sur scènes, le réalisateur plante sa caméra pour distiller des plans fixes et longs, agrémentés d'un noir et blanc déstabilisant car aussi précis que charbonneux. En résulte l'impression délicieuse de découvrir, l'un après l'autre, des tableaux magnifiquement composés sur le plan visuel comme sur le plan sonore. Car s'il s'occupe lui-même de l'image, Costa a pu compter sur l'ingénieur du son Philippe Morel pour restituer au mieux l'atmosphère des studios.

On sort du film avec l'impression d'avoir assisté non pas à la projection d'un documentaire, mais à la création, devant nos yeux, d'un véritable poème cinématographique. Car ce régal pour les yeux et pour les oreilles va bien au-delà du simple making of, sans pour autant s'abîmer dans les stéréotypes d'un cinéma exclusivement esthétisant. S'il se produit réellement quelque chose, c'est parce que Costa sait capter les évènements et les atmosphères dans la durée. Jusqu'à couper le souffle ou bouleverser. Ne change rien, c'est Jeanne Balibar qui répète inlassablement les deux mêmes vers jusqu'à trouver et mémoriser définitivement le ton juste. C'est Rodolphe Burger qui, l'air de rien, bat le rythme pendant de très longues minutes pour aider la chanteuse à trouver le sien. C'est aussi une Balibar épuisée par des cours de chant lyrique dans lesquels chaque consonne, chaque syllabe, chaque intonation doit être répétée jusqu'à devenir irréprochable.

Et c'est véritablement dans la répétition que le film s'affirme, non seulement en tant qu'oeuvre inédite mais en tant que doc. Il montre qu'enregistrer une chanson est une épreuve, un labeur qui nécessite de payer de sa personne et d'évacuer un certain nombre de doutes. Jamais Jeanne Balibar n'aura aussi peu minaudé, et pour cause : ici, non seulement elle ne joue pas, mais elle révèle même un tempérament assez différent de ce que l'on pouvait imaginer d'elle. Très peu sûre d'elle, remettant en question son propre travail de façon permanente, elle révèle des failles d'autant plus émouvantes qu'elles sont inattendues. Face à elle, Burger est un père tranquille toujours de bon conseil. Le versant documentaire s'arrête là, mais il compte ; aussi beaux soient-ils, les plans et les morceaux figurant dans Ne change rien n'auraient peut-être pas suffi. Ce petit surplus d'humanité est absolument salvateur, et fait de ce qui aurait pu n'être qu'une machine arty un vrai concentré de très beau cinéma.

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