Critique : Le Casanova de Fellini

Julien Foussereau | 3 octobre 2008
Julien Foussereau | 3 octobre 2008

« Le gros con... »

 

Cette appellation plutôt brute de décoffrage concentrait tout le mépris qu'éprouvait Federico Fellini à l'égard de Giacomo Casanova, grand séducteur du 18ème siècle et accessoirement aventurier italien intouchable.

 

C'est en lisant les mémoires de cet écrivain-philosophe autoproclamé que naquit une détestation profonde du Maestro pour le libertin vénitien. Alors que des « sommités » tels que Philippe Sollers se passionnèrent pour les pérégrinations de cette légende au point d'être appelés « casanovistes », Fellini n'y voyait qu'un catalogue fastidieux de mesquineries couchées sur du papier dans un style pompeux. En d'autres termes, Casanova n'était qu'un fat, un être superficiel et prétentieux qu'il convenait de remettre à sa place.

 

La clé pour comprendre ce film réside cependant dans son titre : Le Casanova de Fellini. En s'inspirant librement de ses mémoires, Fellini y raconte surtout une fascination pour son antithèse. En effet, Giacomo Casanova s'inscrit à contre-courant des personnages que Fellini a tant aimé mettre en scène jusqu'à présent. Avec l'aide de Bernardino Zapponi, son fidèle scénariste, Fellini taille dans le pavé biographique pour ne retenir que le chemin inévitable vers la déchéance du Casanova : celle d'un pédant submergé par la supposée grandeur de son intellect mais constamment précédé par sa réputation de machine de sport de chambre.

 

En choisissant Donald Sutherland dans le rôle titre, le Maestro fait mouche. Aidé par de nombreux postiches accentuant sa stature de pantin fornicateur, l'acteur canadien se transforme en caricature pathétique de latin lover de la Contre-réforme et délivre une prestation sensationnelle et certainement une des meilleures incarnations cinématographiques du Casanova. Pas la plus fidèle ou la plus réaliste (on préfèrera le Comencini sur ce point) mais certainement la plus hypnotique de par son désenchantement. Car Le Casanova de Fellini, par sa noirceur fondamentale et formelle, jurerait presque avec son œuvre antérieure, célébration philanthropique s'il en est.

 

Fellini aura mis tout son sens de la démesure visuelle pour vomir sa haine du charmeur : deux heures et demie dans une Europe fantasmagorique. Dans cette succession de tableaux vivants irradiés par une poésie funèbre à couper le souffle, Fellini, en cinéaste démiurge et omniscient, déchaîne les éléments sur une mer constituée de sacs poubelle contre son héros et ne le lâche plus d'une semelle tout au long de son étrange voyage physique et intérieur. Un voyage qui bascule progressivement dans le psychanalytique : Casanova recherche moins l'aventure que la fuite de cette figure maternelle dont il n'a jamais réussi à s'affranchir. Cette cassure est certes explicitée lors de sa rencontre avec sa mère à l'opéra. Mais c'est dans le magnifique épisode anglais que ce trauma est le mieux exprimé. Déambulant dans une cour des miracles, Casanova est tour à tour agressé par les croquis effrayants du sexe féminin dans le ventre putréfié de la baleine et envieux de la tendre relation qu'entretient la géante du cirque avec les deux nains, seule passage du film où l'on retrouve l'œil bienveillant du Maestro.

 

Cette trouée positive mise à part, Le Casanova de Fellini baigne dans la dégénérescence la plus totale afin de mieux souligner le vide d'une vie passée à arpenter les arcanes du pouvoir d'un Vieux Continent moisi par des puissants peinant à dissimuler la pourriture de leur âme par leur savoir. Casanova fréquente la haute société et se plaît à donner de sa personne et de son petit oiseau dans des situations toujours plus hyperboliques, toujours plus sidérantes pour se retrouver seul avec son néant intime au final. Entre les joutes « ...à quatre couilles » et le tsunami musical des orgues de barbarie des Wurtemberg, que reste-t-il de sa recherche de l'Amour si ce n'est une dernière danse près du Rialto avec Rosalba, la femme automate, l'alter ego rêvé pour un pantin ? Cette sortie, d'un onirisme bouleversant, appelle deux conclusions. Premièrement, la force hallucinatoire du Casanova de Fellini ne serait pas à son paroxysme sans les incroyables compositions de Nino Rota qui signait là certainement sa musique la plus ambitieuse. Enfin, rarement le pitoyable destin d'un gros con aura été transfiguré avec une telle maestria.

 

Peut-être le film le plus fou de son auteur.

Résumé

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