Critique : Le Soleil se lève aussi

Julien Foussereau | 2 novembre 2007
Julien Foussereau | 2 novembre 2007

« Une génération s'en va, une autre lui succède et la terre lui subsiste perpétuellement. Le soleil se lève aussi, le soleil se couche ; il soupire après le lieu d'où il se lève de nouveau... » C'est par ces paroles bibliques de l'Ecclésiaste que démarra un des plus beaux romans du XXème siècle. C'est par cet incipit magistral qu'Ernest Hemingway s'affirma d'emblée comme un écrivain sur lequel il fallait compter. Le monde d'alors découvrit une prose décapée de toute enluminure abstraite, dégraissée le plus souvent de structures grammaticales alambiquées, sans sacrifier à la création d'une puissante atmosphère reposant sur le concret des lieux et des gestes accomplis par ses protagonistes. Enfant d'une époque encore traumatisée par le souvenir proche de la Grande Guerre, Hemingway avait compris qu'il fallait aller à l'essentiel pour atteindre cette « génération perdue ».

 

Henry King est certainement parvenu à ce même constat lorsque, trente et une années après sa première publication, Darryl Zanuck l'engage pour en réaliser l'adaptation cinématographique. Les seules concessions rutilantes relevées dans le film (donc peu conformes à l'esprit de Hemingway) sont le Cinémascope et la police massive des crédits d'ouverture. Henry King se retrouve à la tête d'une production importante mais pas imposante, privilégiant les décors réels aux studios, premier gage d'une fidélité respectueuse envers le matériau d'origine.

 

Le trauma de la Première Guerre Mondiale est présent. Pourtant, il ne sera jamais clairement explicité. Le Soleil se lève aussi se contente de brosser par le biais d'une mise en scène ciselée comme fut l'écriture de Hemingway le portrait de quatre hommes et une femme peinant à retrouver ce goût de la vie que le conflit leur a arraché. Suivre cette bande d'anglophones, représentative de la Lost Generation, passionne par leurs multiples contradictions tel ce désir de se reconstruire une stabilité émotionnelle alors qu'ils ne se sentent jamais autant vibrer que dans la beuverie, le conflit et la poussée d'adrénaline dans une encierro ou une corrida.

 

C'est l'occasion de louer l'intelligence du casting effectué par King et Zanuck en retenant les deux stars vieillissantes des films à costumes que furent Tyrone Power et Errol Flynn. A cent mille lieues de leurs rôles fringants, ils excellent dans le registre du désabusement éthylique, tout en colère rentrée. L'objet de leur irritation est incarné par Ava Gardner, impériale en femme blessée revenue de tout, digne et tentatrice à force d'émoustiller son quatuor de mâles. Car, la prestation de cette comtesse d'Hollywood, gracieuse à se damner, parviendrait presque à donner un autre sens au titre.

 

En effet, Le Soleil se lève aussi peut s'envisager autrement... comme une initiation inversée. A l'inverse du récit traditionnel -un individu s'extrait de sa communauté pour connaître des épreuves qui l'enrichiront au point de le mûrir et le transformer une fois de retour au bercail, le film d'Henry King serait un voyage initiatique dont la finalité résiderait dans la rupture avec les influences néfastes (Brett et les autres) et la reprise d'une certaine autonomie teintée de confiance en soi. Autrement dit, si Brett est le soleil du titre autour duquel les hommes gravitent, Brett est parvenu à sortir de l'orbite pour devenir un autre astre. Quand le soleil en question n'est autre qu'Ava Gardner, on comprend que l'enjeu était de taille !

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