Critique : Les Amours d'Astrée et de Céladon

Renaud Moran | 21 août 2007
Renaud Moran | 21 août 2007
Le plus jeune cinéaste en activité du monde s'appelle Eric Rohmer, 87 ans (auquel on peut adjoindre aussi évidemment Manoel de Oliveira, 99 ans). A voir son adaptation de « L'Astrée » d'Honoré d'Urfé, c'est en effet la première pensée qui vient à l'esprit. A croire que ce texte classique du 17ème siècle avait été écrit pour lui, tant son sujet (et sa forme) lui sied à merveille. Alors oui l'aspect primitif du cadre (il s'agit du format 1.66 presque carré et proche du fameux format académique hollywoodien d'autrefois, avant l'invention du cinémascope) et le choix artistique de traiter la période (costumes, décors) avec fidélité à la Gaule imaginaire que décrit l'auteur et à la façon dont les gens du XVIIème siècle se représentaient la Gaule et ses habitants, pourront en rebuter certains. Au début en tout cas.

 

Car une fois le regard habitué et la conscience entrée de plein pied dans le film, l'histoire d'amour d'Astrée et de Céladon captive, émerveille. En restant très fidèle aux dialogues imaginés par Honoré d'Urfé et en filmant des personnages en costumes de l'Antiquité devant des châteaux Louis XIII ou plongés dans une nature vierge intemporelle, Rohmer donne plus encore que dans ses autres œuvres un aspect théâtral à son film, entre le théâtre classique et les dialogues platoniciens. Le geste moderne ici est justement de retrouver le geste classiciste (non seulement du théâtre mais encore de la peinture et de la littérature) et d'inventer en ce faisant une nouvelle forme : non pas l'insupportable théâtre filmé, mais un film de théâtre, une symbiose parfaite de ces deux arts dramatiques majeurs. La Nature, la Beauté, la jeunesse, l'innocence, la pureté, la nudité des corps (un torse imberbe ici, un sein qui se dévoile le plus ingénument du monde là), l'Amour, la fidélité, l'Absolu, sont ici exaltés pour notre plus grand bonheur. Rien que cela. Et quelle partie de plaisir cela a dû être pour Rohmer, LE cinéaste du dialogue et de la parole, lui qui n'aime rien tant qu'à filmer ses personnages discourir sur l'amour et ses tracas, sur leurs choix et leurs idées, mais aussi les problèmes philosophiques et théologiques. Tout cela sans se prendre au sérieux, mais avec l'habituelle légèreté et l'humour qu'on lui connaît. Et en prenant des risques, risques que les gens se moquent ou trouvent le procédé artificiel, comme lorsque Céladon est contraint de se déguiser en femme pour côtoyer celle qu'il aime.

 

Pourtant, point de ridicule. Pas plus qu'il n'y en a dans Le Songe d'une nuit d'été ou Certains l'aiment chaud. Rohmer atteint ici à l'épure d'un Fritz Lang, tellement, que l'on se plait à penser avec lui que si Les Amours d'Astrée et de Céladon était son dernier film, il serait son Tombeau Hindou. Sélectionné en compétition à la Mostra de Venise 2007, voilà un film qui mériterait bien son Lion d'or.  

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire