Critique : Chronique d'un amour

Pour son premier long métrage, Antonioni réussit un coup de maître. Dans cette histoire qui semble à première vue assez convenue et peu originale Antonioni va prendre ses marques et commencer à développer un arsenal thématique et visuel des plus intéressants : un mari jaloux désireux de connaître le passé de sa femme envoie un détective enquêter sur la vie de celle-ci, ce qui va lui faire reprendre contact avec son ancien amant. S'il prend en compte les différences de classe sociale c'est de manière secondaire mais elles sont belles et bien présentes dans l'opposition entre le mari riche, l'amant sans un sou et la femme tiraillée entre les deux et sont à l'origine d'une très surprenante séquence de rencontre dans une vente aux enchères et sur une route pour essayer une voiture.

Ce qui est plus intéressant dans ce scénario c'est que si l'ancien couple se retrouve et se reforme c'est le mari qui en est indirectement la cause et qui fait tomber sa femme dans les bras de son amour de jeunesse. La fatalité et le drame qui unit le couple adultérin vient du passé et c'est ce surgissement, ce retour en arrière qui les fait fauter. Alors que l'Italie à cette époque est partagée entre un désir d'industrialisation rapide et une nostalgie d'un passé perdu que Visconti s'attachera à retranscrire dans Senso par exemple, on perçoit que tout retour vers le passé chez Antonioni est une forme de décadence. Nul besoin de réveiller des souvenirs enfouis car c'est finalement ce qui conduit à la destruction finale.

En outre, le cinéaste italien semble déjà valoriser la forme sur le fond à travers une mise en scène constituée essentiellement de plans séquences ou de très longs plans durant parfois plus de deux minutes dans des espaces souvent réduits ou peu lumineux. Ce dispositif très convaincant va permettre au réalisateur de capter au mieux les temps morts et la banalité d'un quotidien morose et ennuyeux et de rythmer le tout à son goût afin d'entraîner le spectateur directement du spectacle de ces amours tragiques.