Critique : Paris vu par...

Erwan Desbois | 6 mars 2007
Erwan Desbois | 6 mars 2007

Réalisé en 1965, Paris vu par… est un film à sketchs aussi ouvert et versatile que son titre le laisse deviner. A l'initiative du tout jeune Barbet Schroeder (vingt-trois ans à l'époque), quatre réalisateurs issus des Cahiers du Cinéma – Godard, Chabrol, Rohmer et Douchet – et deux autodidactes partageant avec la Nouvelle Vague un même désir de réveiller le cinéma – Rouch et Pollet – sont conviés à donner leur vision d'un quartier/village de leur choix de la capitale. Cet assemblage en apparence hétéroclite est au final particulièrement cohérent, car tous les participants se rejoignent sur deux points de fond : l'emploi d'un ton espiègle, qui fait de ce film une déclaration « Paris, je t'aime » pleine de malice et libérée de toute contrainte ; et une remarquable maîtrise de la mise en scène, associant grandes ambitions et talent visuel.


Le choix de placer Saint-Germain-des-Prés, de Jean Douchet, en premier est cohérent : ce qu'il y a de plus réussi dans ce segment est en effet son introduction. Celle-ci mêle dans un même mouvement présentation du quartier et mise en place de l'histoire, qui traite d'une jeune américaine venue étudier à Paris et devant faire face aux assauts de deux séducteurs prêts à toutes les combines pour coucher avec elle. Après ce début prometteur, le récit peine à trouver un second souffle et étire les situations jusqu'à leur faire perdre toute énergie. Plus loin dans le film, Place de l'Étoile d'Éric Rohmer souffre du même mal : une utilisation des lieux astucieuse, gâchée par un argument scénaristique trop mince. Rohmer dissèque avec un humour perçant et réjouissant – qui fait penser aux films burlesques du muet – les rituels entre piétons et automobilistes autour de l'Arc de Triomphe ; mais, comme Douchet, il ne sait que faire de son embryon d'histoire sur un employé du quartier qui, suite à un accrochage avec un homme qu'il envoie au tapis, n'ose plus emprunter son chemin habituel entre le métro et son lieu de travail.


Entre ces sketchs s'en intercalent deux autres beaucoup plus aboutis. Gare du Nord de Jean Rouch prend la forme d'un plan-séquence (avec une coupe invisible au milieu) pour suivre une dispute conjugale, puis la rencontre de la femme avec un homme qui semble en mesure de lui offrir la vie dont elle rêve. Le pari technique fait la part belle aux acteurs, en leur offrant des performances sur la brèche, mais représente également une réussite artistique. De l'emploi des couleurs au remplissage plus ou moins marqué du cadre par les silhouettes et les décors, tout est pensé pour donner à l'image le plus de sens possible et ainsi raconter ce qu'un quart d'heure de dialogues ne peut contenir. Le résultat est tout simplement le meilleur sketch du lot.


Rue Saint-Denis de Jean-Daniel Pollet est moins virtuose, mais pour la bonne raison que la caméra y fait tout pour être le plus discrète possible. Ici, un plongeur dans un petit restaurant, originaire de province et maladivement timide (Claude Melki) amène chez lui une prostituée expérimentée, à la gouaille et au bagout typiquement parisiens (Micheline Dax). L'opposition entre les deux fait des étincelles comiques, amplifiées par la mise en scène à base de plans fixes et de coupes qui impriment un rythme soutenu aux échanges verbaux. Mais elle débouche également sur une tendresse sincère et touchante, en donnant à voir cette soirée comme le début d'une relation amoureuse plutôt que comme les préliminaires d'un banal rapport sexuel.


Les deux « stars » de l'équipe, Godard et Chabrol, viennent clore le film et s'amusent tous les deux à en pervertir le procédé. Avec Montparnasse et Levallois, le premier considère non pas un mais deux quartiers, dont l'un est extérieur à Paris. Dans ce sketch, il développe un thème très présent chez lui à l'époque : l'incompréhension fondamentale entre les hommes et les femmes, due à l'émancipation de ces dernières au cours des années soixante. L'héroïne du film mène ainsi deux relations amoureuses en parallèle et, lorsqu'elle pense avoir interverti des pneumatiques envoyés à chacun de ses amants, se dit pouvoir compter sur leur ouverture d'esprit (qu'elle croit égale à la sienne) pour tout leur avouer et être pardonnée. Il n'en sera bien sûr rien, et Godard capte cette double rupture avec une sobriété, due au format court, qui lui permet de tirer le meilleur de son art.


Pour sa part, Chabrol se distingue en traitant le quartier de La Muette de l'intérieur – ses habitants – plutôt que de l'extérieur – sa géographie. Là encore, le film est un concentré du style de son réalisateur, qui dessine à traits acerbes le portrait d'un couple bourgeois, de leurs crises à répétition et de leur enfant qui finit par porter en permanence des boules quiès à la maison pour oublier les éclats de voix. L'exercice a un caractère ludique évident, entre cette vision métaphorique de « La Muette » et le fait que ce sont Chabrol lui-même et sa femme (Stéphane Audran) qui interprètent les rôles principaux. En grand manipulateur, le cinéaste joue sur cette complicité pour donner encore plus d'impact à la tragique chute finale, qui clôt avec éclat ce sketch ainsi que le film, qui est dans son ensemble un grand moment d'art cinématographique.

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