Critique : Coffret Anthony Mann (Le Cid - La Chute de l'empire romain)

Erwan Desbois | 21 février 2007
Erwan Desbois | 21 février 2007

Après John Ford en janvier, c'est à un autre grand nom d'Hollywood que l'éditeur Opening s'intéresse (et nous intéresse) ce mois-ci en la personne d'Anthony Mann. Le coffret qui est consacré à ce dernier est encore plus notable que le précédent puisque les films qu'il regroupe n'ont rien de raretés exhumées de l'oubli, mais sont des œuvres phares de la carrière du cinéaste, son monumental chant du cygne.


En effet, Le Cid et La chute de l'empire romain n'ont peut-être pas la perfection des chefs-d'œuvre du western (Winchester 73, L'appât) ou du film noir (La brigade du suicide) signés par Mann, mais leurs imperfections et leur ambition débordante les rendent tout à fait attachants. Bien que réalisés pour le même producteur (Samuel Bronston), ces deux films ne sont pas pour autant de commandes mais des sujets qui tenaient réellement au cœur de l'humaniste qu'était Mann. Il en est ainsi du Cid, qui n'est en rien une adaptation de la pièce de Corneille mais qui est tirée de la légende d'origine (datant du douzième siècle) contant les exploits de Don Rodrigue pendant la reconquête de l'Espagne par les Catholiques face aux Maures.


Le film que Mann a tiré de cette histoire est un objet inclassable, qui recèle de véritables pépites tout en s'étirant en longueur – près de trois heures – et en ne trouvant jamais son rythme de croisière. Peu rompu au gigantisme des moyens fournis par son producteur, Mann signe de superbes scènes de bataille (les deux sièges successifs de Valencia sont particulièrement impressionnants) mais peine souvent à les intégrer à un scénario foisonnant et qui comporte une quantité inouïe de protagonistes et de rebondissements. Le récit progresse de manière décousue, comme un moteur hoquetant, entre chutes de tension – presque chaque moment fort est suivi d'une redistribution des cartes assez laborieuse – et ellipses conséquentes et inspirées.


Bien qu'inspiré d'aucune pièce en particulier, Le Cid possède grâce à son rapport particulier au temps une théâtralité qui est son principal atout. Le découpage du récit, les mois ou années qui peuvent s'écouler entre deux scènes, le traitement fortement empreint de symbolisme des personnages (Don Rodrigue en tête) éloignent en effet le film de toute représentation naturaliste des faits. Mann nous conte une légende, celle d'un héros qui devient de moins en moins humain et de plus en plus une icône au fil du récit – le charisme de Charlton Heston, qui porte le film sur ses épaules, aide beaucoup à la réussite de cette transformation. Comme tous les contes, celui du Cid sert de véhicule à une morale, qui trouve un écho dans un film historique plus récent : le Kingdom of heaven de Ridley Scott. Dans les deux cas, c'est de tolérance et de respect mutuel entre les peuples chrétien et musulman dont il est question, sur un ton amer puisque ces deux valeurs ne sont jamais complètement atteintes.

Le Cid : 7/10

Si les liens du Cid avec Kingdom of heaven restent secondaires, il est aujourd'hui difficile de regarder La chute de l'empire romain sans qu'un autre film de Ridley Scott, Gladiator, ne vienne à l'esprit. Ce dernier fait en effet plus que s'inspirer du film d'Anthony Mann ; il en est un pompage éhonté sur quantité de choses, à commencer par le contexte historique : la dernière campagne guerrière de l'empereur Marc-Aurèle, en Allemagne, et les intrigues de son fils Commode pour obtenir l'héritage du pouvoir que son père souhaite lui retirer au profit d'un général.


Passé ce préambule rendant à César ce qui est à César, il faut bien dire que les deux films portent clairement la marque de leurs réalisateurs respectifs, et sont donc aux antipodes l'un de l'autre. Là où Scott s'exprime par le biais des morceaux de bravoure et du lyrisme d'une épopée démesurée, Mann maintient en permanence son regard sur les personnages, fouillant dans leurs fêlures, et leur humanité. Il joue par conséquent beaucoup moins la carte du spectaculaire que son héritier, et propose même un récit que l'on pourrait qualifier de statique.


Statique ne veut pas pour autant dire pesant. Certes, l'efficacité des scènes d'action et des batailles pâtit de ce choix, mais ce que le film y gagne en dimension émotionnelle est impressionnant. Si Mann s'acquitte sans accroc de son obligation de mettre en valeur les moyens dont il dispose en termes de figurants et de décors (la reconstitution du Forum Romain est grandiose), il les met également à profit pour affiner sa représentation de la décadence de Rome et des hommes qui la dirigèrent.


Dans le rôle de Marc-Aurèle, Alec Guinness livre une de ses innombrables performances de génie. Son empereur est tout en nuances, faisant tour à tour preuve d'humour, de sagesse et de fermeté – mais au final aussi fragile et impuissant que n'importe qui face à la mort. Celle-ci est le début de la fin pour l'empire, et Mann la filme comme telle : le seul bruit à couvrir la séquence de l'enterrement est le hurlement du vent, qui nous glace d'effroi et semble énoncer la sentence qui pèse sur Rome.


Une sentence qui trouvera son exécution dans la faiblesse et la lâcheté des successeurs, puisque tant Livius (l'héritier officieux de Marc-Aurèle, et l'équivalent de Maximus dans Gladiator) que Commode se défaussent face à la charge qui les attend. Isolés au milieu des foules immenses, écrasés par la grandeur des statues de divinités, le premier accepte de se retirer sans combattre de la lutte pour le pouvoir, et le second sombre dans la folie. La fuite en avant belliqueuse, mégalomane et corrompue qui en découle trouve de fortes résonances avec le monde moderne. Le discours vibrant du conseiller Timonides (James Mason) sur l'inanité de la volonté de toute puissance et la nécessité du vivre ensemble était d'actualité au moment du tournage du film, avec la Guerre Froide ; il l'est encore aujourd'hui, avec le « choc des civilisations » promis par certains.

La chute de l'empire romain : 8/10

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