Critique : Hara-kiri

Flavien Bellevue | 18 janvier 2007
Flavien Bellevue | 18 janvier 2007

Film de chambara (film de sabre) hors norme, Hara-kiri de Masaki Kobayashi fait parti de ces films qu'on aime découvrir et redécouvrir pour leurs audaces visuelles et pour le message qu'ils délivrent. Succédant à sa trilogie faste La condition de l'homme, Masaki Kobayashi porte ici un regard âpre sur l'Histoire (qui est modifiée pour plaire à l'Etat) et sur la société japonaise du 17è siècle où la paix règne mais où les samouraïs sont contraints à se reconvertir (dans l'artisanat ou l'éducation entre autres) dans le meilleur des cas ou à mendier, partir à la recherche d'un maître ou dans un désespoir total, à demander le rituel noble de la mort: le seppuku, plus connu sous l'appellation argotique harakiri.

 

 

 

Adapté du roman de Yasuhiko Takiguchi par un grand scénariste du cinéma japonais Shinobu Hashimoto, Hara-kiri remet en question les codes et valeurs d'antan qui continuent à régir la vie des samouraïs à travers l'histoire de Hanshiro Tsugumo, ronin (samouraï sans maître) venu demander, le 23 juin 1630, à l'Intendant Saito du château du clan Ii d'accomplir le harakiri dans sa cour. Seulement, l'intendant Saito a déjà autorisé cette pratique récemment et met en garde Tsugumo en lui racontant l'histoire du jeune Motome Chijiwa venu demander l'aumône chez lui et qui s'est retrouvé contraint à se suicider tel que le code des guerriers, le Bushido, l'enseigne avec son sabre en bambou. Malheureusement pour l'Intendant Saito, Tsugumo est le beau-père de Chijiwa et compte bien demander quelques explications…

 



Pourquoi avoir forcé un samouraï qui demandait la charité à s'ouvrir le ventre avec un sabre en bois ? Pourquoi ne pas avoir remis en question tout le rituel qui était imposé au jeune Motomé Chijiwa ? Toutes ces questions et bien plus encore, Masaki Kobayashi se les pose alors que l'Etat japonais, post seconde guerre mondiale, doit faire face à de nombreuses manifestations étudiantes depuis le début des années 1960. L'Etat féodal de l'ère Tokugawa est mis ici en accusation car bien qu'il installe un temps de paix dans le pays, il abandonne peu à peu ses guerriers qui l'ont aidé à gagner la guerre. Alors au sommet de la pyramide hiérarchique de la société, les samouraïs connaissent une vie de misère et se voient même refuser des emplois car le statut de guerrier est mal perçu.

 

 

Kobayashi retrouve ici deux acteurs de La condition humaine à savoir Akira Ishihama (Motome Chijiwa) et le futur interprète du légendaire Goyokin, Tatsuya Nakadai dans le rôle du beau-père/samouraï révolté Tsugumo. L'actrice Shima Iwashita, future héroïne du Gout du saké d'Ozu, prête ses traits pour le rôle de la fille de Tsugumo ; Rentaro Mikuni, visage connu des inconditionnels des films de Kinji Fukasaku et de La légende de Zatoïchi, interprète l'intendant Saito ; alors que Tetsuro Tamba (célèbre Tigre Tanaka aux côtés de 007 dans On ne vit que deux fois) qui joue ici un rôle mineur mais capital au récit de l'histoire, complète ce casting sur mesure. Bien évidemment, l'acteur qui capte l'attention et qui crée la tension crescendo du film n'est autre que Tatsuya Nakadai qui livre une performance inoubliable grâce à sa voix et son rire fantomatiques. Avec son regard intense et accusateur, il est la « gueule » (dans le bon sens du terme) du film face à d'autres « gueules » toutes aussi intéressantes (Mikuni et Temba pour ne citer qu'eux). La dernière partie du film est littéralement « orchestré » par lui à travers les mouvements de son sabre et sa gestuelle.

 

 

Porté par une mise en scène, une musique, un cadre (avec entre autres des travellings de plus de dix secondes d'habitude impossibles sur le dos des acteurs) et une somptueuse photographie rigoureuses, Hara-kiri est un film géométriquement visuel où le noir et le blanc s'attirent comme ils s'opposent. Véritable boule de nerfs qui ne cesse d'enfler pour mieux éclater (avec son rythme lent et sa tension haletante), le film de Masaki Kobayashi est un chef d'œoeuvre du genre. Présenté au festival de Cannes de 1963 aux côtés du Guépard de Luchino Visconti (Palme d'or), Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich, Sa Majesté des mouches de Peter Brook, Le lit conjugal de Marco Ferreri ou encore Le rat d'Amérique de Jean Gabriel Albicoco, Hara-kiri emporta le prix spécial du jury.

Résumé

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