Critique : Martin

Ilan Ferry | 23 février 2006
Ilan Ferry | 23 février 2006

Portrait d'un monstre ordinaire… En s'attachant à Martin, jeune homme convaincu d'être atteint d'une maladie qui l'oblige à tuer ses victimes pour mieux boire leur sang, Romero s'attaque à un sujet épineux : le mal-être adolescent qu'il oppose au carcan familial représenté par l'oncle Cuda, Van Helsing d'opérette, persuadé que le jeune homme est un vampire.


À l'image de Season of the Witch, réalisé en 1972 par Romero, et que l'on peut voir comme une version horrifique et cynique de Desperate housewives, Martin s'inscrit dans un quotidien angoissant de par sa neutralité, et duquel les personnages se trouvent prisonniers. Au fur et à mesure, le réalisateur parsème cette morne réalité de passages oniriques (d'étranges apparitions pour la sorcière de Romero, des flashs-back en noir et blanc, teintés d'une ambiance gothique que n'aurait pas reniée Mario Bava, pour Martin) et instaure par là même un fantastique purement subjectif, directement issu de l'univers mental du personnage principal et renforcé par une bande-son oppressante flirtant gentiment avec l'expérimental. Face au jeune homme, l'oncle Cuda, symbole même de l'obscurantisme religieux et du poids prépondérant de celui-ci dans les valeurs familiales, représente un contrepoint terrifiant qui oblige le spectateur à prendre malgré lui le parti du jeune Martin. Un point qui vise à démontrer que tout dans le film est affaire de paradoxes (une notion allégrement cultivée par Romero tout au long de sa filmographie), ainsi, derrière son visage angélique, Martin cache un tempérament de démon, auquel il ne semble pas pouvoir (vouloir) échapper, malgré sa volonté d'aspirer à une vie normale, une initiation qui ne pourra cependant se faire qu'à travers la mort. De même, sous ses aspects de vieillard bienveillant, Cuda se révèle un homme autoritaire aveuglé par un fanatisme d'un autre temps.


Le thème du vampire n'est ici pas fortuit, le film tout entier tournant autour de la notion de contamination, une vampirisation qui trouve tout d'abord ses origines dans la cellule familiale. En effet, plus qu'un monstre à visage humain, Martin apparaît comme la victime non consentante d'une famille en proie à une frénésie religieuse comme seul repère face à une société en pleine mutation. Un rapport de force qui ne s'inverse qu'à partir du moment où le jeune homme répond « positivement » à des pulsions meurtrières latentes. Ainsi, comme évoqué précédemment, ce n'est pas tant l'atmosphère fantastique qui importe mais plutôt l'angoisse qu'elle génère, Romero préférant se focaliser sur l'aspect « rationnel » du vampirisme comme symptôme d'un malaise constant. Cuda et Martin ne semblent jamais vraiment s'intégrer et, bien qu'aux antipodes l'un de l'autre, dégagent la même impression d'anachronisme comme s'ils n'étaient pas à leur place, faisant alors prendre à leur rivalité une tout autre dimension.


Fausse réactualisation du mythe du vampire, Martin raconte l'aliénation d'une jeunesse en perte de repères. Tout comme dans The Crazies ou La Nuit des morts vivants, Romero dépeint le portrait d'une Amérique malade, en proie à des démons qu'elle crée pour mieux les rejeter. Virulente charge anticléricale(les scènes d'exorcismes sont aussi terrifiantes que ridicules), le film désamorce un peu plus les valeurs de l'american way of life, creusant ainsi le sillon amorcé par les œuvres précédentes du grand George, ou quand le rêve américain s'apparente à un cauchemar éveillé !

Résumé

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