Critique : La Belle et la Bête

Sandy Gillet | 19 février 2007
Sandy Gillet | 19 février 2007

Ce qui frappe immédiatement à la vision de La Belle et la Bête, c'est la (re)découverte de ces décors enchanteurs, baroques et féeriques qui concourent encore et toujours à faire de cette histoire, adaptée par Cocteau lui-même d'une fable écrite au XVIIIème siècle par Leprince de Beaumont, un véritable plaisir des yeux et des sens. Bien entendu, le raffinement extrême des textes, la direction d'acteurs en tous points remarquable et la maîtrise technique de l'arsenal propre au cinéma (même si Cocteau n'est pas seul ici puisqu'il a demandé et a bénéficié des conseils techniques avisés de René Clément), participent aussi à faire de ce film le chef-d'œoeuvre que l'on sait. Il n'en reste pas moins que la beauté plastique indéniable de l'ensemble dont les inspirations sont à rechercher du côté de certaines toiles de Vermeer et d'illustrations de Gustave Doré, imprime à tout jamais les rétines de bonheur, même les plus blasées.

Avec La Belle et la bête Cocteau réalisait là son second film près de seize ans après Le Sang d'un poète qui en 1930 avait divisé le mouvement surréaliste lui préférant plutôt Un chien andalou ou encore L'Age d'or de Buñuel. Il est vrai que Le Sang d'un poète était plus une sorte de poème esthétique en 24 images par seconde préfigurant sans aucun doute possible la réussite visuelle de La Belle et la Bête alors que les motivations de Luis Buñuel étaient plus d'ordre sémantique, lui dont les métaphores visuelles originales et violentes n'avaient que pour unique ambition d'attaquer l'Église, les institutions et les représentants de la bourgeoisie.

Mais si La Belle et la Bête procède bien de cette filiation directe et d'une recherche formelle de plus en plus épurée au service de thèmes identiques — l'amour impossible, la mort, la beauté de l'âme qui doit transcender celle des corps et faire tomber les masque —, c'est aussi et surtout une émouvante déclaration d'amour à l'intention de son acteur principal, Jean Marais. De fait, si Cocteau s'est intéressé à nouveau au cinéma au début des années 1940 (il est scénariste et dialoguiste de nombreux films à succès de l'occupation dont L'Éternel Retour avec Madeleine Sologne et justement Jean Marais) et qu'il s'est plongé à corps perdu dans cette aventure jusqu'à mettre en danger sa santé (atteint d'une infection cutanée, il fut en effet obligé d'interrompre pendant une semaine le tournage et de paraître ensuite sur le plateau avec un voile recouvrant son visage), c'est bien pour ce jeune homme et accessoirement son protégé qu'il le fait. D'ailleurs, qu'il l'affuble du masque de la bête est comme un écho troublant à sa propre condition physique d'alors et renvoie donc au plus profond de la thématique de son cinéma. Et même si l'on sait que Jean Marais s'éloignait déjà de son amant de metteur en scène durant le tournage, il est évident que la caméra de Cocteau ne fait qu'enregistrer langoureusement les battements de son coeœur meurtri et couche à jamais sur la pellicule son amour éperdu. Quelle plus belle déclaration en fait ?

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(5.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire