Critique : Alice au pays des merveilles

Erwan Desbois | 18 avril 2005
Erwan Desbois | 18 avril 2005

Ce qui frappe le plus en revoyant Alice au pays des merveilles, c'est que le film n'a absolument pas vieilli ; il paraît toujours aussi novateur et délirant, ce dont peu de films datant de 1951 - voire plus récents - peuvent se vanter. L'invention visuelle permanente et l'étonnante liberté de ton dont fait preuve Alice au pays des merveilles ne trouve son équivalent au sein de la production Disney que dans les récents délires Kuzco, l'empereur mégalo et Lilo & Stitch. On peut y voir une manière de boucler la boucle, puisque Alice au pays des merveilles marqua la reprise de la marche en avant du studio après la Seconde Guerre Mondiale, tandis que Kuzco, l'empereur mégalo et Lilo & Stitch furent son chant du cygne.

 

 

Il est injuste de parler de trahison de l'oeuvre de Lewis Carroll, comme certains ont pu le faire. Si Walt Disney en a effectivement édulcoré une grande partie de la bizarrerie et de la noirceur, il reste tout de même une inattendue liberté de ton, conséquence du désir évident de suivre l'exemple d'Alice et de quitter les sentiers battus au profit des chemins de traverse de l'imaginaire. L'expression la plus surprenante de cette liberté de ton réside dans le rapport complètement décomplexé du film à la violence. Au cours de son périple, Alice se voit ainsi explicitement menacée d'être noyée, brûlée vive ou encore décapitée, l'acte étant à chaque fois joint à la parole. Plus étonnante encore est la séquence du morse et du charpentier, qui met en scène de manière très visuelle et sans retenue aucune la mort d'êtres adorables et innocents.

 

 

La manière dont est insérée cette séquence dans le film est révélatrice de la déraison permanente de celui-ci : « Le morse et le charpentier » est en effet un vrai court-métrage à l'intérieur du long-métrage. L'ensemble du récit est (dé)construit selon le même principe : à aucun moment l'inventivité des dessinateurs et des animateurs n'est bridée par le souci de mener à bien une histoire ou de développer des personnages. Les scènes se succèdent du coup sans temps mort et sont toutes plus folles les unes que les autres. Quant aux personnages, ils vivent chacun dans leurs univers propre, et ne font que s'entrechoquer au lieu de réellement interagir les uns avec les autres. Le génie d'Alice au pays des merveilles tient au fait que cet assemblage en apparence sans queue ni tête aboutit à la création d'un monde cohérent dans sa folie. On ne ressent dès lors jamais de frustration face aux brusques revirements de situation et aux impasses successives rencontrées par Alice ; bien au contraire, ce sont l'émerveillement et le rire qui nous accompagnent tout au long de cette ballade mouvementée.

 

 

 

La mécanique de l'absurde est poussée à son paroxysme lors du final (un procès aux confins du délire suivi d'une course-poursuite tout aussi extravagante) auxquels tous les personnages participent, même et surtout ceux qui n'ont rien à y faire. L'épilogue qui suit est aussi abrupt que le démarrage du film, et clôt la folle parenthèse que représente Alice au pays des merveilles au sein de la production Disney de la même manière qu'un réveil-matin interrompt un rêve : le retour à la réalité est brutal, mais les souvenirs laissés par la rêverie sont indélébiles.

 

 

Résumé

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