Critique : Kanzo sensei (Docteur Akagi)

Patrick Antona | 5 mars 2005
Patrick Antona | 5 mars 2005

Vingt-cinquième film de Shohei Imamura, Kanzo Sensei est pour ainsi dire une oeuvre à part dans la longue carrière du maître japonais. On sait que c'est grâce à la palme d' Or obtenu à Cannes en 1997 par sa précédente oeuvre, Unagi (L'Anguille), qu'il put obtenir le financement nécessaire pour monter ce vieux projet qu'il traînait depuis plus de 20 ans. Finalement son acharnement aura payé, lui permettant d'accoucher d'un de ses films les plus attachants.


Kanzo Sensei (Dr Akagi) est aussi l'histoire d'un acharnement, celui d'un médecin de famille japonais, en cette fin de seconde guerre mondiale, qui voit en l'hépatite le mal absolu contre l'humanité et n'a de cesse de vouloir « exterminer le virus », quitte à diagnostiquer une véritable épidémie. Surnommé le« Docteur Foie » (traduction de Kanzo Sensei) et interprété de manière excellente par Akira Emoto, ce médecin un peu fou est aidé par un bonze junkie qui se pique avec la morphine dédiée aux opérations et par une ex-prostituée Sonoko (la sublime Kumiko Aso), dans sa première expérience cinématographique. Depuis le public occidental l'a vu dans Ring 0 et Kaïro, et elle est une des étoiles montantes du cinéma nippon.
Heureusement Shohei Imamura réussit à nous intéresser dans le récit de cette passion obsessionnelle du « Docteur Foie » en adoptant un ton tragi-comique, proche de la farce (les courses effrénées du médecin en costume blanc, les scènes de sexe), et en se permettant plusieurs saillies contre l'armée japonaise, très souvent ridiculisée. Il dresse ainsi une critique de cette société qui court à la catastrophe finale.
Tout en n'évitant pas le côté dramatique lorsque, rendu complètement incontrôlable, le docteur sera entraîné à déterrer des cadavres pour ses expériences, action qui précipitera sa chute, Imamura sait aussi se montrer grivois en dépeignant toute une galerie de personnages secondaires complètement intoxiqués : par l'alcool, par la drogue et surtout par le sexe avec ces militaires complètement obsédés, et la jolie Sonoko qui n'hésite pas à replonger dans son ancien métier !


Le propre père de Shohei Imamura était médecin du village et on sait que la seconde guerre mondiale est un sujet important pour le cinéaste (il fut témoin de Hiroshima). Ce dernier s'est donc évertué à faire passer un souffle humaniste dans le propos du film et à ne jamais se désolidariser de son héros. Car malgré sa fixation, il ne sera jamais aussi dangereux que les miltaires, obsédés par leur fanatisme et leur nationalisme exacerbé, les poussant même à entraîner des vieillards à devenir des combattants ! Cette humanisme est aussi palpable dans les relations qui unissent le docteur au prisonnier hollandais (étonnant Jacques Gamblin) avec leurs expériences où ils utilisent un projecteur de cinéma pour "booster" la vision du microscope (scènes on ne peut plus métaphoriques).


Mais ce qui aurait pu se transformer en allégorie un peu sentencieuse réussit toujours à avoir les pieds sur terre grâce à quelques ruptures de ton salutaires (la scène de l'enterrement, la descente violente des militaires) et surtout un sens de l'érotisme qui nous permet de retrouver le Shohei Imamura des années 60 et 70. Érotisme qui sera magnifié par la scène, où telle une sirène, Sonoko, voulant succéder à son père comme chasseur de baleine, plongera nue pour traquer un cétacé. Et la vision finale du film, avec à nouveau ce champignon atomique de Hiroshima (comme dans La pluie noire) se transformant cette fois-ci en foie malade, bien que terrible, réussit à ne pas amoindrir un certain côté optimiste sur l'avenir du Japon, représenté par cette barque avec la jeune femme nue mais affranchie et le vieux docteur qui a retrouvé sa conscience.

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