Le Convoyeur : critique avec des fonds propres
Après un film à forte tendance autobiographique (Va mourire) et un exercice de style quelque peu vain (Le Plaisir et ses petits tracas), le cofondateur de la mythique revue Starfix, Nicolas Boukhrief, se décide à filmer ce qu'il défendait ardemment lorsqu'il était critique. Extrêmement ambitieux de par son croisement de genres et la richesse de son intrigue, ainsi que la complexité de ses personnages, Le Convoyeur est une fulgurante réussite. Avec en prime le talent absolument gigantesque du bien trop rare Albert Dupontel.
CONVOYEUR DE GNONS
Reprenant un concept cher au Spielberg des Les Dents de la mer, Nicolas Boukhrief prend le spectateur d'emblée à la gorge en lui assenant de la manière la plus brutale qui soit l'existence du mal. Si non seulement la tension née de cette éprouvante séquence inaugurale n'aura de cesse de planer sur l'ensemble du récit, elle permet aussi et surtout à son auteur d'annoncer clairement la couleur : Le Convoyeur est (et restera) avant tout un authentique film de genre.
Dupontel ne fait pas de prisonniers
Seulement voilà, la suite des festivités vient contredire ce début tonitruant. Alors qu'en utilisant comme background l'univers des convoyeurs de fonds au riche potentiel cinématographique et pourtant jusqu'ici inédit, on se dit que le cinéaste a tout loisir de faire fructifier une véritable intrigue de polar, mais le voilà qui change son fusil d'épaule et se dirige vers l'étude sociale. Quelque peu décontenancé par ce cinglant volte-face, il faut quelques minutes pour accepter la nouvelle donne imposée par Boukhrief et son coscénariste, Eric Besnard.
Heureusement, l'adhésion s'avère d'autant plus facile qu'à l'aspect original et fascinant à plus d'un titre du métier de convoyeur (le fameux paradoxe de mecs payés une misère pour transporter des fortunes tout en risquant leur vie pour le faire) viennent s'adjoindre une étude méticuleuse du milieu (à quelques joints ou facéties près) et une galerie de portraits aussi atypiques qu'attachants (tous les comédiens, Berléand et Dujardin en tête, sont épatants et plus vrais que nature).
CINEPHILE DEFENSE
Alors que l'on s'attache aux humeurs et revendications des employés de Vigilante (au passage, un nom pas innocent pour Boukhrief qui commença sa défense du cinéma de genre, dans le n°1 de Starfix, en encensant Vigilante - Justice sans sommation !, le film de William Lustig), et en particulier à son énigmatique nouvel arrivant, qu'on s'apprête à plonger dans les méandres du drame social, l'émergence d'indices sur le passé intriguant du personnage interprété par Albert Dupontel replace doucement mais sûrement le film vers le thriller.
En faisant preuve d'une habileté singulière, montrant bien qu'il apprécie les deux angles d'attaque de son récit, Nicolas Boukhrief réussit ainsi à jongler brillamment avec les codes et contraintes inhérents aux deux genres. Mais petit à petit, c'est l'aspect polar qui prend définitivement le dessus (une fois le secret sur le passé de Dupontel éventé, avec à la clé une réelle émotion dont le réalisateur se servira pour conclure avec force son film). Le danger entr'aperçu au début peut alors prendre sa véritable signification visuelle. Elle viendra sous la forme d'une séquence de braquage d'une rare violence, magistralement orchestrée et montée, donnant l'occasion à Boukhrief de conclure de la manière la plus efficace et dramatique qui soit son ambitieux projet.
Lecteurs
(4.2)