Critique : Lolita

Fabien Braule | 31 août 2004
Fabien Braule | 31 août 2004

Depuis sa conception jusqu'à son accouchement sur grand écran, le projet d'Adrian Lyne aura fait couler beaucoup d'encre, bien plus que de raison. Des ligues extrémistes vociférant au scandale (tant le film semblait être de leur avis un hymne notoire à la pédophilie), aux cinéphiles hurlant à l'hérésie artistique (tant l'idée d'un remake au film de 1962 réalisé par Stanley Kubrick semblait être un acte de trahison artistique), personne ne laissa la moindre chance au film d'exister, et plus que tout de perdurer. Quelles que soient les qualités intrinsèques du film de Lyne, elles s'écroulaient sous le poids d'un trop plein médiatique, lui retirant d'emblée toute crédibilité. C'était sans doute oublier l'œuvre charnière de ces deux adaptations, le roman de Vladimir Nabokov. Si Kubrick ouvrait la voie à un érotisme sous-jacent, il effaçait par la même occasion toute approche humoristique présente dans le roman, et donnait à son film une direction aussi froide que dénuée de tout sentiment humain.

Dès lors, Lyne choisit le chemin inverse, et fait de son Lolita une œuvre décomplexée de toute comparaison au modèle kubrickien, bien plus en accord avec l'œuvre originale. Entre érotisme naissant et humour noir, le cinéaste de Proposition indécente offre là une vision bien plus exaltante que ne l'avait fait en son temps Kubrick lui-même. De là à dire que cette version est, d'un point de vue cinématographique, au-dessus du film de 1962, il n'y a qu'un pas. En effet, il y a quelque chose de proustien ici, une ambiance, parfois torturée, parfois nostalgique, qui plonge le spectateur dans un bain d'émotions aussi pures que déconcertantes. Comme cette introduction qui, sous sa forme lyrique, révèle tout le mal-être d'un adolescent face à son premier amour. Ironie du sort, de la vie, le plaisir est relégué à la mort. D'une innocence simple et passionnée, Humbert devient, face à sa blessure, un personnage complexe, perdu dans une quête passionnelle aussi immuable que tragique. Et puis il y a Lolita, trop vieille pour n'être qu'une enfant, trop jeune pour être déjà femme. De cette alchimie due au hasard, Lyne stigmatise une rencontre, aussi improbable soit-elle. De cette esthétique glamour, à l'érotisme hollywoodien exacerbé, le cinéaste immortalise chaque seconde. Lolita est à l'image du magazine qu'elle parcourt à de nombreuses reprises, un rêve hollywoodien, une star normalement vouée au succès.

Plus encore, si l'influence se révèle être, au-delà du roman de Nabokov lui-même, À la recherche du temps perdu, l'approche esthétique, profondément onirique du film, porte la marque de Visconti et de Leone. Du premier, nous en retiendrons surtout une obsession de la beauté qui, telle Mort à Venise, porte en elle une prise de conscience, celle de l'enfant face à son pouvoir de séduction. Du second, c'est cette concordance entre musique et lumière qui n'est pas sans rappeler Il était une fois en Amérique, qui se voit poussée à son paroxysme par la délicate partition d'Ennio Morricone. Mais Lyne le sait, si cette beauté existe, c'est avant tout pour qu'elle soit éphémère. Le basculement du film dans le drame passionnel est d'autant plus douloureux qu'il puise sa force à la fois dans le jeu des acteurs, ainsi que dans une rupture affective du spectateur pour l'œuvre, portée par son glissement vers une paranoïa destructrice sans complaisance. À la manière de L'Échelle de Jacob, le cinéaste puise son malaise dans sa mise en scène ultra maniériste. Entre effets visuels excessifs et violence physique, naît la peur d'une culpabilité évidente (que Lolita n'hésite pas à ressasser perpétuellement), et avec elle le personnage de Quilty.

C'est d'ailleurs le point de divergence principal entre les deux films. Avec son approche plus « rationnelle », Adrian Lyne apporte une vision plus singulière au personnage. Quilty, par des ténèbres éloquentes du personnage de Humbert, impose son mystère par le genre auquel il se rattache : le film noir. Frank Langella ne démérite pas par comparaison au personnage sarcastique de Peter Sellers, tant il s'affirme comme perverti autant qu'excentrique, tant son jeu est antithétique de celui de Jeremy Irons.

Sept ans après son échec retentissant en salles, Lolita n'a rien perdu de sa puissance et de son lyrisme. Adrian Lyne signe une œuvre audacieuse, en parfaite complémentarité avec celle de Stanley Kubrick. Au-delà de toute amoralité, il démontre que la suggestion au cinéma est un art délicat, dont il tire toute sa puissance grâce à une mise en scène aussi sublime que subtile. Sept ans après, l'affaire Lolita semble bien désuète, et s'affirme avant tout comme le parfait exemple de l'hypocrisie américaine.

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