Critique : Notre pain quotidien

Vincent Julé | 14 mars 2007
Vincent Julé | 14 mars 2007

Tout le long-métrage engagé mais vain de Richard Linklater, Fast Food Nation, était construit autour de sa dernière scène. En effet, après nous avoir baladé avec ses guest stars dans les rouages de l'industrie du fast-food, le réalisateur américain brise ce qui est pour lui, et sûrement une bonne partie des spectateurs, l'ultime tabou : ouvrir les portes d'un abattoir, et montrer la mise à mort des bovins. Une mise en scène, mise en spectacle même, qui devait servir de point d'orgue à sa démonstration, où l'émotion était faite vérité. C'est à la fois le point de départ et l'antithèse du documentaire autrichien Notre pain quotidien, où pendant deux ans, Nikolaus Geyrhalter a « posé » sa caméra au cœur des grands groupes européens agricoles, et plus précisément de ces endroits habituellement inaccessibles : usines, serres, champs, mines, bétaillères, chaînes d'assommage, de dépeçage…

Sans commentaire, entretiens ou même musique, l'expression consacrée voudrait donc que « les images parlent d'elles-mêmes ». Un abus de langage, derrière lequel se cachent des autorisations de tournage, des cadrages travaillés avec minutie, des plans à la durée chronométrée, un montage éclaté mais limpide. Pensé comme un document d'archives, témoin d'une époque, d'une Histoire, Notre pain quotidien s'avère, ou plutôt s'appréhende aujourd'hui comme un objet filmique aussi radical que passionnant. Cette succession de longs plans, comme autant de situations de travail, révèle, rappelle, martèle une vérité terrible, presque inéluctable, à savoir que notre surconsommation demande une surproductivité, dont l'exécution s'éloigne de toute réalité humaine pour se rapprocher parfois des pages sombres de cette même Histoire.

Mais surtout, ces séquences laissent le temps et l'espace au spectateur pour penser, associer, sélectionner… Qu'il soit gêné devant le tri des poussins, terrifié devant le dépeçage des bovins, fasciné par ces mines de sel souterraines ou en train de partager la pause déjeuner d'un ouvrier, le spectateur est toujours impliqué, questionné, actif. Il se fait en quelque sorte son propre film.

Résumé

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