Bug : critique sous la peau

Jean-Noël Nicolau | 19 février 2007
Jean-Noël Nicolau | 19 février 2007

William Friedkin est un cinéaste politique et polémique et il n'est jamais aussi bon que lorsqu'il a une cause ambiguë à défendre. Tous ses films, même les plus médiocres de la période Paramount qui prend fin avec ce Bug, ont leurs petites ou grandes idées scandaleuses. L'efficacité de la forme aide à faire admettre le propos, mais le spectateur n'est jamais protégé par une quelconque tentative de cinéma « correct ». Contrairement à un Joel Schumacher, William Friedkin s'assume, jusque dans ses positions les plus extrêmes (la justice expéditive de French connection, Cruising et Police fédérale, Los Angeles en particulier) et ses choix les plus discutables (les « relectures » douteuses du Sang du châtiment et de l'Exorciste). William Friedkin n'aime pas les concessions et fait du cinéma comme il l'entend, point.

Le dispositif à la base de Bug fleure bon les années 70 : huis-clos, performances d'acteurs, noirceur absolue, sous-texte politique et image granuleuse. Dès les premières minutes, le style fait mouche, Friedkin ne cachant jamais les origines théâtrales de son œuvre. Le découpage en acte est souligné, on aperçoit même les changements de scène quand les protagonistes passent d'une pièce à l'autre et quittent la chambre du motel en claquant la porte. Pourtant il ne viendra à l'esprit de personne d'accuser Friedkin de paresse dans son adaptation. Le bonhomme en profite pour condenser son énergie et ses démons.

 

 

Bug est certes un film méchant, d'un lent crescendo dans la cruauté qui culmine en un final de folie furieuse minimaliste et saisissant. Mais cette hargne ne vient jamais agresser le spectateur (à quelques scènes gores près), elle est toute entière tournée vers le couple de héros, consumé par une schizophrénie contagieuse. Inutile de le cacher, il n'y a pas l'ombre d'un insecte dans Bug, à part pour quelques plans subliminaux directement issus du cerveau dérangé de Peter, et d'une mouche étrangement perdue dans le fond d'un plan anodin. Mais Friedkin nous fait vivre cette paranoïa au plus près, grâce en particulier à un travail sonore mémorable, plein de grésillements lointains et de bruits d'hélicoptère.

 

 

Cœur de l'œuvre, le personnage d'Agnès nous implique immédiatement dans son quotidien proche du misérable. Son accumulation de traumatismes (dont l'enlèvement de son enfant) la rend particulièrement réceptive aux propos délirants de Peter, dont on ne saura jamais si le passé de « cobaye » du gouvernement tient du fantasme ou de la réalité. Friedkin semble choisir bien vite son camp, stigmatisant les théoriciens du complot qui fleurissent en ces temps chaotiques. Si le réalisateur dépeint une nouvelle fois les ravages de la peur, il dénonce avant tout l'hystérie (collective ou non) qui grandit si facilement dès qu'une rumeur s'enracine dans l'esprit. Aussi concise que soit la forme de Bug, son discours n'en demeure pas moins vertigineux, offrant un portrait de l'Amérique, autarcique et prête à s'aveugler dans la panique, particulièrement terrifiant.

A la fois film d'horreur et drame psychologique éprouvant, Bug enthousiasme sur toute sa durée, grâce aussi à la prestation rien de moins qu'extraordinaire d'Ashley Judd et de Michael Shannon (qui avait créé le rôle de Peter sur scène). On pourrait à nouveau louer la vigueur d'un cinéaste ayant dépassé les 70 ans et étant encore prêt à en découdre avec le monde entier, mais la réussite de Bug va bien plus loin que la pérennité de Friedkin. C'est un grand film en soi, fascinant dans son déroulement, effrayant dans ses intentions et tétanisant dans son accomplissement.

 

 

 

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