Eraserhead : Critique

Erwan Desbois | 6 février 2007
Erwan Desbois | 6 février 2007

Alors que sort en salles Inland Empire, il a semblé cohérent de revenir dans ces pages sur Eraserhead, le premier long-métrage de David Lynch. En effet, Inland Empire boucle d'une certaine manière la boucle en revenant à un art pur et exigeant après deux décennies passées par le cinéaste à louvoyer dans l'univers audiovisuel commercial, pour le meilleur et pour le pire – les deux étant souvent intimement liés, comme dans les deux projets avortés et pourtant magnifiques que sont Twin Peaks et Mulholland Drive.

Il y a bientôt trente ans de cela, Lynch accouchait de ce manifeste artistique démesuré et cauchemardesque. Car Eraserhead est un cauchemar au sens propre, absurde, abject et arbitraire. Comme tous les « bons » cauchemars, il choisit un concept a priori positif et le retourne, le maltraite jusqu'à ce qu'il soit source de rejet et de dégoût. Dans Eraserhead, c'est de la création dont il est question, et de la plus belle qui soit – celle de la vie. Cet événement habituellement vendu comme parfait est ici vicié de l'extérieur (le contexte dans lequel il se produit) autant que de l'intérieur – le bébé, pudiquement dit « prématuré », est carrément difforme et repoussant.

 

 

Le film a la cohérence terrifiante et implacable des cauchemars, en cela que ce nouveau-né sans nom n'est pas une aberration mais un produit de son environnement. Le monde d'Eraserhead est une société industrielle déshumanisée au dernier stade, ou post-apocalyptique, ou peut-être les deux. Le père et héros du récit à une tête surmontée d'une chevelure improbable, la mère est capricieuse et égoïste, et les parents de cette dernière sont acariâtres et dégagent une aura malsaine. Tout le reste est un voyage sans lueur et sans humanité. Sur une trame diffuse et parasitée de toutes parts, Lynch compose une succession de tableaux monstrueux liés par une logique plus organique que cartésienne : une minuscule chanteuse de music-hall coincée dans un radiateur, des poulets morts qui se débattent, l'électricité qui réagit aux attaques envers le bébé…

 

 

A l'instar de la DV changeante et bruitée de Inland Empire, le noir et blanc blafard, agonisant de Eraserhead renforce d'autant le potentiel effrayant du film. Cette détérioration permanente de l'image met en effet à mal la neutralité habituelle de cette dernière, et par ricochet les garanties données au spectateur. Devant Eraserhead, on n'a plus l'impression d'être face à un long-métrage, mais d'observer sans filtre les images générées par le subconscient d'une personne inconnue. L'horreur du cauchemar vient au final de cela : la crudité et la violence inhabituelles avec lesquelles ces sensations nous sont données à vivre.

 

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