Critique : Mala Noche

Audrey Zeppegno | 10 octobre 2006
Audrey Zeppegno | 10 octobre 2006

La réputation de Gus Van Sant n'est plus à faire. Indépendant jusqu'à la moelle, sacré petit prince de la production alternative yankee, primé de par le monde… Qu'on aime ou qu'on déteste, le gus est là et ne démord pas de sa vision très personnelle du cinéma. Sa carrière suivant un chemin pavé d'or, le gadjo fut prié de ressortir de ses cartons son tout premier film. Un bout de péloche minimaliste, poétique et poussiéreuse, inédite en France, tournée à l'arrache, en noir et blanc, dans les quartiers mal famés de Portland. L'exercice qui attisa la curiosité d'une poignée de dénicheurs de talents lors de sa sortie nationale en 1985, a tout du premier jet d'un électron libre talentueux, un freak qui trace sa route en dehors des sentiers balisés, et qui se fout royalement d'enrichir l'industrie du pop-corn, parce qu'il a ce petit supplément d'âme qui fait toute la différence. L'image est brute de décoffrage, les plans sont branlants ; l'histoire simplissime ; le spécimen tâtonne, mais peu importe la perfection plastique, tant qu'on y décèle les signes avant-coureurs de sa marque de fabrique.

D'abord, sa prédilection pour les marginaux. De pauvres hères plombés par un mal-être, un manque ou un délit de faciès. Des clandestins qui pataugent dans le caniveau, en matant avec une certaine nonchalance ceux qui tiennent le haut du pavé. En l'occurrence, un couple de jeunes mâles. Walt, homo pas tout à fait sorti du placard. Lunettes d'aviateur, cheveux mi-longs, une dégaine de rockeur qui porte en bandoulière une sensibilité à fleur de peau. L'ombre sauvageonne de River Phoenix domine. Il y a du Will Hunting et du Michael Pitt chez cet écorché vif. Sa rencontre avec Johnny, émigré mexicain qui ronge son frein en attendant que l'american dream lui serve sa part du gâteau, va rapido tourner à l'obsession. Coup de foudre non partagé. Walt tombe en pamoison, Johnny profite de ses largesses sans payer en nature. C'est la porte ouverte aux désirs inassouvis, aux amertumes, aux impulsions tragiques et à toutes les désillusions. Deux adonis jouent au chat et à la souris. La communication est gestuelle, le filmage poétique. Gus Van Sant laisse planer les doutes et sa caméra, au gré des envies et des impros de ses apprentis comédiens. On ne coupe pas à ses focus célestes. Arrêt sur nuages épiphaniques. Instantanés léchés. Bouffées de nostalgie. Ambiance beatnik portée par une quête spirituelle.

En découvrant Mala Noche, on ne crie pas forcément au génie. Mais il n'en demeure pas moins fascinant, pour toutes ces petites graines semées à l'aveugle, que Gus Van Sant cultive encore aujourd'hui, avec l'art et les manières de prendre à rebrousse poil l'industrie mainstream.

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