La Science des rêves : critique

Audrey Zeppegno | 6 août 2006 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Audrey Zeppegno | 6 août 2006 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Après le triomphe Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Michel Gondry est rentré en France pour La Science des rêves. Pour la première fois scénariste en solo, après deux collaborations avec Charlie Kaufman, il racontait les errances folles et étranges de Gael García Bernal, entouré de Charlotte Gainsbourget Alain Chabat.

 

Qui connaît les clips de Gondry (soit les trois quarts de la planète hertzienne) sait combien son imaginaire est moins dépendant que gémellaire des scénarios tarabiscotés de Charlie Kaufman. Combiner la bricolo mania du frenchy aux tricotages narratifs de son acolyte à la psyché labyrinthique, garantit la fusion de bizarreries bicéphales et l'eternal sunshine d'un spectateur mis en apesanteur. Amputer cet univers d'outre-monde de l'un de ses membres n'est pourtant pas synonyme de plantage monumental. Kaufman s'est déjà trouvé en la personne de Spike Jonze un iconoclaste auxiliaire, capable de le téléporter sans perte ni fracas dans la peau de John Malkovich.

Ne restait plus à Gondry qu'à faire le grand saut, en plongeant en solo dans le bain à remous des salles obscures. L'entreprise, anxiogène par excellence, sonde les encarts de son journal intime pour mieux tourner la page. Les toqués du Versaillais qui se seraient initiés à l'enfance de son art paranormal, en matant The Art and the work of Michel Gondry, verront dans La Science des rêves la transcription hallucinée de ces confessions intimes documentaires. Quant à ceux qui achopperont contre cet ovni, vierges de toutes presciences concernant notre alchimiste, ils vivront un cosmique trip inestimable.

 

Le badinage d'un tandem de farfelus limitrophes sur fond de delirium tremens fantaisiste, Gondry maîtrise. oeuvrer sous l'égide des majors yankees ne l'a jamais empêché de bouder l'écran bleu, en agrémentant ses roucoulades de tours de passe-passe faits maison. S'il passait volontiers pour un rebelle en terrain conquis par l'ère du tout digitalisé, sa rentrée au bercail lui autorise toutes les audaces. Affranchi des addictions et des tabous qui priment chez l'Oncle Sam, notre marabout de la vieille école ressort de son intarissable chapeau, bouts de ficelle, ciel en mousse, moussaillon d'une mer en Spinal Art étale, étalon en cotonnade, « désastrologie » calendaire et autres bolides en carton-pâte. Vous ne captez rien à tout ce barda digne d'une Mary Poppins biberonnée aux Legos ?

 

Rien de moins normal : chez Gondry, les rêves partent à la dérive sans se prêter à aucune interprétation psychosomatique vaseuse. La pathologie chimérique de son alter ego Stéphane (Gael Garcia Bernal), un gadjo en pèlerinage sur les terres maternelles, qui confond la réalité aux trémolos de Morphée, ne lui nuit pas, elle farde d'une poudre de Perlimpinpin les grises mines qui hantent la capitale. De même que les réparties goguenardes d'Alain Chabat distillent un grain de folie rédemptrice dans le caveau qui leur sert de lieu de travail masochiste, ces fugues oniriques lui pulvérisent de profondes goulées d'oxygène au fond du gosier.

Nul trauma dévastateur ne rampe sous ces divagations lunaires. D'ailleurs, c'est la clef du coup de coeur qui naît entre Stéphane et sa voisine de palier Stéphanie, exquise esquisse d'un sosie féminin (Charlotte Gainsbourg). Les bizarreries respectives de ces deux âmes soeurs les branchent sur la même longueur d'onde, entre madeleines de Proust et retour d'une seconde vers le futur.

 

Et nous autres, pauvres mortels, d'assister bouches bées à cette féerie sensass, en nous demandant pourquoi diantre nos méninges ne crépitent pas d'un tel feu d'artifice, lorsque le marchand de sable se penche à notre chevet. Loin de nous la prétention d'en soutirer l'un des longs métrages les plus poétiques que l'on ait vu depuis belle lurette : un puzzle séquentiel aussi sûrement ancré dans le terreau du réel, que parachuté au zénith d'une magie de môme surdoué. Le génie, m'sieurs dames, ne gratifie qu'une poignée d'élus, assez couillus et chamaniques, pour nous servir sur un plateau ardent, les mirages nocturnes qui le tarabustent. Nos phantasmes de cinéphages ont beau se dilater au contact des bobines, ils n'atteignent pas ce degré de fièvre. Mais ce serait tout de même un sacré lot de consolation, de pouvoir décrocher la lune le temps d‘un somme électrisant, et de se réveiller avec la banane, en se disant qu'une de nos nuits aura été plus belle que nos jours !

 

Affiche française

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