Critique : Qui m'aime me suive

Erwan Desbois | 5 juillet 2006
Erwan Desbois | 5 juillet 2006

Changer de vie, poursuivre ses rêves, pour surtout ne pas se laisser dévorer par la routine. Voilà le programme à la fois ambitieux et déjà vu mille fois de Max, brillant chirurgien de trente-cinq ans qui est rentré dans la profession sous la pression parentale et qui décide un jour de tout plaquer pour reformer le groupe de rock de sa jeunesse. Puéril ? Peut-être. Casse-gueule ? Assurément. Mais Max a une énergie à renverser les montagnes, qui bouleverse ou entraîne dans son sillage tous les autres personnages du film et le film lui-même.

La belle réussite de Qui m'aime me suive tient principalement au fait que l'évidente sympathie du réalisateur Benoît Cohen et de sa co-scénariste Éléonore Pourriat pour Max – dont l'histoire est inspirée de celle de l'ancien assistant-réalisateur de Cohen – transcende le film sans pour autant trop en sacrifier le réalisme. Bien sûr, le parcours de Max comporte des étapes un peu faciles (la visite chez le producteur de disques), mais l'ensemble reste remarquablement crédible et maîtrisé, grâce à la grande qualité d'écriture des personnages et de l'évolution de leurs rapports à la suite du tremblement de terre créé par Max. La troupe d'acteurs de Nos enfants chéris, le précédent long-métrage de Cohen, est à nouveau réunie pour incarner cette galerie de portraits, dont aucun n'est utilitaire ou schématique. Au contraire, tous sont d'une grande complexité et vivent, doutent, osent devant nos yeux captivés.

La complicité entre les comédiens est évidente, et permet au réalisateur de s'appuyer sur eux dans le rire comme dans l'émotion, sans avoir à forcer sur les effets de mise en scène. Après un démarrage un peu laborieux, on se retrouve ainsi plongé dans la vie parfois tragique (l'éloignement inéluctable entre Max et son épouse Anna – Romane Bohringer, aussi étonnante ici en avocate stricte qu'en copine marrante dans Nos enfants chéris), parfois comique (la reformation du groupe de rock démarre par une hilarante scène de séparation qui reprend tous les clichés du genre) de la bande, dépeinte dans tous les cas avec justesse. Cohen a assurément réussi son ambitieux pari, avec un film qui s'écarte encore plus que son précédent du carcan simplement comique. En tenant de bout en bout l'équilibre entre légèreté et gravité, y compris au cours d'un final ardu et pourtant remarquablement émouvant et adulte, il s'affirme comme un digne successeur des influences prestigieuses qu'il cite (Claude Sautet, Nanni Moretti).

L'autre défi du film était la place prépondérante tenue par la musique. Un défi qui se transforme en supplément d'âme, car Qui m'aime me suive marche dans les traces des films d'un pur enfant du rock comme Olivier Assayas. On sent en Cohen et Pourriat des connaisseurs, qui savent faire ressentir la vie d'un groupe en tant qu'entité pleine de tiraillements et d'ambitions, et l'existence distincte menée par les chansons, qui finissent toujours par échapper à leur créateur. Des chansons dont les arrangements et les paroles (en français, une gageure) sont de premier choix, et qui sont portées par des acteurs dont la débauche d'énergie est en osmose avec leurs rôles. La métamorphose – d'une scène à l'autre, littéralement – de Mathieu Demy, qui passe du fils de bonne famille propre sur lui au rocker à la Noël Gallagher, est proprement stupéfiante. Sa performance l'est tout autant, en particulier dans la scène la plus forte du film, où il sublime des paroles qui pourraient sembler toutes faites pour en tirer une poignante profession de foi sur son besoin physique de prendre sa vie en main et sa hantise de mourir à petit feu s'il ne le fait pas. Une chose est sure : lui, Benoît Cohen et toute la bande, on les suit sans hésiter.

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