Critique : Romanzo criminale

Louisa Amara | 22 mars 2006
Louisa Amara | 22 mars 2006

Énorme succès en Italie, Romanzo criminale est déjà comparé à Mean streets et aux Affranchis de Scorsese. Le réalisateur, Michele Placido s'en explique : « Question dramaturgie, j'ai pensé à Il était une fois en Amérique de Sergio Leone, mais du point du vue du style, j'ai davantage songé à Martin Scorsese. En même temps, je n'ai pas voulu me laisser trop influencer par le cinéma américain, car des cinéastes comme Scorsese, justement, ou comme Quentin Tarantino, ont reconnu, à plusieurs reprises, s'être eux-mêmes inspirés du cinéma italien des années 70, de films d'action de série B, assez violents et durs, avec Tomas Milian ou Maurizio Merli... ».

Romanzo criminale fait évoluer ses personnages dans l'Italie des années 70, en pleine vague d'enlèvements et d'attentats terroristes. Ces années de plomb sont le décor de ce film ambivalent. À la fois chronique sociale et politique et film de gangsters. Des gangsters que l'on voit monter en puissance et dont la chute inexorable renforce l'aspect tragique de leur destin. Le Libanais, Freddo et Dandy forment le trio de départ, fondé à l'adolescence qui à force de sang, d'argent et d'intelligence deviendra le triumvirat criminel le plus puissant de Rome.

Cette amitié indéfectible est indéniablement le coeur du film. Les sentiments qui unissent Le Libanais à Freddo rappellent beaucoup ceux de Tony Montana et Manny dans Scarface. Le Libanais pourrait d'ailleurs être le pendant italien de Tony Montana. Il a lui aussi la folie des grandeurs, se compare à Mussolini ou même Hitler. Le coup de génie du réalisateur et de l'écrivain à l'origine de cette oeuvre est de donner à chaque personnage une véritable identité, une personnalité à part et des buts précis. Ayant au départ la même ambition, ils prennent rapidement une voie différente. Dandy, c'est la frime, il veut du fric, et des « signes extérieurs de richesse », c'est pourquoi il se fait avoir par une femme superficielle. Freddo tombe amoureux et se concentre rapidement sur son histoire d'amour. Le Libanais, lui, ne veut que le pouvoir, au point d'en perdre toute prudence élémentaire. Filmer la grandeur et la décadence de ces personnages justifie pleinement une réalisation léchée mais énergique. La musique, composée à la fois de thèmes disco et classiques, pour les scènes tragiques, plonge le film dans une atmosphère réaliste et dramatique. Tous les éléments de l'opéra sont là, de l'histoire, aux personnages, jusqu'à la fin du film.

Attardons nous sur les deux personnages les plus ambigus du film, le flic Scialoia, interprété par Stefano Accorsi; et Patrizia, la prostituée que joue Anna Mouglalis. Pour cette dernière, l'expression « erreur de casting » vient tout de suite en tête. Pourquoi ? Ce personnage de prostituée, une femme vénéneuse, manipulatrice, dont la séduction naturelle est la première arme devait être interprété par une femme dont la sensualité était évidente et frappante. Or, Anna Mouglalis, aussi douée soit-elle chez Chabrol, n'a pas cette sensualité. Elle partage d'ailleurs avec Daphné Roulier des origines grecques et un certain type de beauté : une beauté froide, qui ne convient pas du tout au personnage. N'ayant pas les armes de séduction nécessaires à la composition de son personnage, elle s'en sort correctement mais est complètement dépassée par la performance des autres acteurs. Stefano Accorsi en tête. Ce dernier, par son énergie et son charisme (déjà remarqué par le public français dans Juste un baiser et La Chambre du fils) envahit l'espace. Outre les quatre acteurs principaux (tous impressionnants), on saluera aussi les seconds rôles parfaitement interprétés par de jeunes acteurs prometteurs : Jasmine Trinca, qui joue Roberta la petite amie innocente et fragile de Freddo, et Riccardo Scamarcio qui interprète brillamment le tueur à gage taciturne, Nero.

Romanzo criminale a déjà été rebaptisé en Italie du nom de « nos pires années », en comparaison à Nos meilleures années, qui a remporté là bas un succès colossal, et a été très remarqué en France. Ces pires années représentent le pendant noir et dur de cette période car à l'exubérance et la joie de vivre de nos meilleurs années, Romanzo criminale redonne un coup de projecteur à la face sombre et sanglante de l'Italie, loin des clichés de la dolce vita. Un éclaircissement salvateur qui donne toute sa puissance à cette épopée tragique et magnifique.

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