Critique : La Double vie de Véronique

Erwan Desbois | 15 février 2006
Erwan Desbois | 15 février 2006

Et si chacun d'entre nous ne menait pas sa vie en solitaire, mais dans un numéro de tandem inconscient avec une personne qui nous est inconnue et pourtant familière ? Tous ces sentiments de déjà-vu, ces coïncidences présumées, ces intuitions, ne sont-ils que le fruit du hasard ou bien seraient-ils dus à des liens irréels, impalpables ? Voilà la question qui traverse le long-métrage de Krystof Kieslowski La Double Vie de Véronique. Ou plutôt qui irradie ce film, tant celui-ci est lumineux et chaleureux. Le sujet du film est le lien immatériel qui relie peut-être Véronique la Française et Weronika la Polonaise, deux jeunes femmes physiquement identiques et nées le même jour, mais qui ne se connaissent pas et n'ont même aucun parent commun. Pourtant, elles partagent tout ce qui est de l'ordre des sensations, de l'intangible : même passion pour la musique, même désir de croquer la vie à pleines dents, mêmes douleurs… « Je crois que j'ai du chagrin », dit d'ailleurs Véronique à l'instant où Weronika meurt à plusieurs milliers de kilomètres d'elle.

Il serait cependant faux de dire que Weronika s'est définitivement éteinte ; car tout ce que l'on a appris sur elle au cours de la première partie polonaise du récit trouve écho chez Véronique. C'est sur ces détails du quotidien, ces petits riens (le plaisir que la jeune femme prend au contact de son anneau d'or sur le contour de ses paupières, par exemple) que la caméra s'attarde pour relier ses deux personnages, et ainsi les rendre identiques à nos yeux, par la seule force de la suggestion sensorielle. En effet, Kieslowski ne cherche aucunement à nous apporter une preuve de cette relation spéciale ; au contraire, il vise à nous la faire ressentir et s'adresse pour cela à nos sens plutôt qu'à notre raison.

La Double Vie de Véronique est en conséquence un film éminemment charnel, construit non pas autour de dialogues et d'une intrigue (celle-ci est ici anecdotique) mais autour de sensations, d'impressions : celles créées par la tonalité particulière de la photographie aux teintes sépia ; par la pureté qui émane de la prestation (ou plutôt de la simple présence) d'Irène Jacob ; et surtout par la musique cristalline et bouleversante de Zbigniew Preisner. Cette dernière atteint des sommets d'émotion au cours de la plus belle séquence du film, un inoubliable récital d'opéra (durant lequel Weronika rend son dernier souffle) filmé en caméra subjective et qui résonne jusqu'au plus profond de nous.

Formellement virtuose et par moments touché par la grâce, La Double Vie de Véronique perd de sa force évocatrice quasi-miraculeuse dès qu'il repose les pieds sur terre, comme lors de son épilogue trop explicite qui débouche par conséquent sur une mise en abyme ratée. Inégal et plus ou moins convaincant selon notre sensibilité initiale à son message, le film n'en reste pas moins une expérience unique, ainsi qu'une réelle démonstration de maîtrise cinématographique.

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