Critique : Sauf le respect que je vous dois

Johan Beyney | 12 février 2006
Johan Beyney | 12 février 2006

Ça commence comme un polar. Sur une route déserte et obscure, une voiture en chasse une autre. Une scène d'accroche très efficace qui appelle de nombreuses questions : qui ? pourquoi ? En amateurs de films policiers, on aurait d'ailleurs de nombreuses réponses à proposer, toutes plus romanesques les unes que les autres. Pourtant, cette poursuite nocturne n'est que le résultat logique et désespéré d'une suite d'événements d'une cruelle banalité.

Pour son premier long-métrage, Fabienne Godet aborde sous la forme du polar social le thème de l'entreprise, monstre vorace déshumanisé et déshumanisant. À travers le personnage de François, elle aborde avec finesse les interactions de la machine avec ceux qu'elle emploie. L'originalité (et l'intelligence) de la réalisatrice est de ne pas se contenter de dépeindre l'entreprise comme une entité anonyme toute dévouée à broyer les âmes. Elle s'attache surtout à montrer comment l'homme se soumet à son autorité, acceptant sans broncher quelques concessions anodines – mais pourtant significatives – comme des réunions tardives ou des refus de congé à la dernière minute… Peur du chômage, de l'exclusion, du conflit, soumission à la règle, toujours est-il que ce personnage si familier se protège en fermant volontairement les yeux sur l'emprise que son travail exerce sur sa vie et celle de son entourage. Jusqu'à ce qu'un événement tragique le force à les ouvrir (le spectateur pourra quant à lui serrer les paupières face à cette scène difficilement soutenable).

La prise de conscience de François est alors à l'image de ce qui l'a provoquée : violente, brutale, mais sans doute nécessaire. Face à l'indifférence et une certaine forme de violence sociale, François va alors devoir se marginaliser pour pouvoir faire entendre sa vérité. Sur son chemin, il rencontrera deux femmes. Flora, d'abord. Journaliste, elle sera la dépositaire légitime de sa parole dans un monde où l'on n'existe pas tant que l'on ne parle pas de vous dans les médias. Lisa ensuite, jeune fille perdue, et pendant opposé de François : sans travail, sans famille, sans attaches, mais surtout (ou du coup ?) vivante.

Aidée par un casting de très haute tenue (Olivier Gourmet, d'un naturel époustouflant, Julie Depardieu, Marion Cotillard, Dominique Blanc, toutes trois très convaincantes), Fabienne Godet nous offre un film maîtrisé et prenant, soutenu par une écriture violente mais très subtile. À une époque où l'on interroge beaucoup notre rapport au travail (voir le récent documentaire Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés ou les plus anciens Ressources humaines, Attention danger travail ou Violence des échanges en milieu tempéré), cette œuvre de fiction apporte avec intelligence sa pierre à l'édifice. Et nous fait découvrir une réalisatrice à suivre.

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