Critique : Appelez-moi Kubrick

Ilan Ferry | 3 janvier 2006
Ilan Ferry | 3 janvier 2006

Art du simulacre par excellence, le cinéma a toujours aimé les imposteurs, le plus récent (et meilleur) exemple en date restant Arrête-moi si tu peux de Steven Spielberg.Brian Cook producteur et ancien assistant réalisateur (notamment de Kubrick) se propose d'ajouter sa pierre à l'édifice en contant l'histoire vraie d'Alan Conway, petit escroc qui, durant des mois, se fit passer pour le célèbre réalisateur d'Eyes wide shut. Ayant travaillé pendant trente ans avec ce dernier, Brian Cook, aidé dans son entreprise par le scénariste Anthony Frewin, lui aussi proche collaborateur de Kubrick, et producteur du documentaire Stanley Kubrick : A life in pictures, semblait être l'homme de la situation pour raconter au mieux cette histoire peu banale, le cinéphile averti se délectant d'avance de moult anecdotes disséminées un peu partout dans le film. Une impression que confirme une séquence d'ouverture mordante, en référence directe à Orange mécanique, où deux jeunes hommes, costumes de dandy et chapeaux melons à l'appui, arpentent les rues de Londres à la recherche du faux Kubrick, inaugurant ainsi une première partie cinglante et hautement référentielle. Hélas, le plaisir est de courte durée et se montre bien en-deçà des attentes qu'un tel sujet laissait augurer. En effet, après une première demi-heure où le film réussit à être vraiment drôle(le réalisateur se permet au passage d'épingler une certaine bourgeoisie british), exploitant plus ou moins bien son canevas scénaristique, force est de constater que la suite fait preuve d'une sérieuse baisse de régime et brasse du vent durant près d'une heure, laissant ainsi le spectateur suivre avec un désintérêt croissant les mésaventures d' Alan Conway.

« C'est comme si on voyait John Malkovich jouer le rôle de Stanley Kubrick » dixit le dossier de presse du film, une comparaison qui ne doit pas être du goût de la famille de ce dernier tant le faux Stanley Kubrick du film apparaît aux yeux des gens qu'il dupe comme une grande folle extravagante portant bijoux et sacs à main. C'est certainement là que se situe le gros point faible du long métrage : le véritable Alan Conway avait beau ne pas cacher son homosexualité, les scènes montrant son double cinématographique habillé façon Zaza de La Cage aux folles se présenter comme Stanley Kubrick, restent difficilement crédibles et, à l'exception d'une hilarante scène où deux hommes donnent leurs interprétation très personnelle de 2001 : l'odyssée de l'espace comme signe plus ou moins flagrant de la pseudo homosexualité du réalisateur, Brian Cook ne semble prendre aucune distance avec son sujet. Tout est prompt à l'excès et Cook donne une vision très caricaturale du gay London par l'intermédiaire de son personnage principal et des individus qu'ils croisent dont un chanteur has been qui, malgré trois couches de fond de teint et une garde robe (sans mauvais jeux de mots) où le rose prédomine, n'a soi -disant pas encore fait son coming out !

Si le film pêche sur bien des points, il n'en est pas moins traversé par de rares moments de « grâce » portés par l'interprétation d'un John Malkovich toujours impérial qui arrive à insuffler une véritable humanité à son personnage et ce malgré un cabotinage constant. Charmeur, enjôleur, original, aguicheur tels sont quelques uns des qualificatifs attribués au Alan Conway fictif à grands coups de bandes-annonces et autres affiches alléchantes. Le film montre pourtant une réalité tout autre avec un personnage principal aussi pathétique que dépourvu de charisme, et ce à l'occasion de quelques scènes qui démontrent, si besoin est, que Brian Cook est passé à côté de son sujet à défaut de le rater complètement .En effet, il apparaît évident que Alan Conway est plus intéressant quand il est lui-même que quand il se fait passer pour Kubrick, ce dernier servant plus d'alibi, voire d'argument marketing : Kubrick est ici un simple nom qui semble avoir été pris au hasard par Conway . Pourtant le réalisateur creuse ce dangereux sillage ne retenant de son protagoniste que son excentricité. Il aurait peut-être été plus judicieux de se pencher sur l'histoire de ce mythomane compulsif plutôt que de s'arrêter sur ce banal épisode de sa vie. Au final, si le sujet est intéressant, invitant par là-même à une véritable réflexion sur les notions d'identité et d'apparence, l'ensemble demeure bien mal exploité. Mais, ne perdons pas espoir et attendons un hypothétique remake français, toujours produit par Europa, et dont le titre est déjà tout trouvé : Appelez moi Besson avec dans le rôle principal Jean Reno. Allez on y croit !

Résumé

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