Critique : M. Butterfly

Sébastien de Sainte Croix | 9 décembre 2005
Sébastien de Sainte Croix | 9 décembre 2005

Film méconnu de Cronenberg, M Butterfly n'en est pas pour autant un film mineur du réalisateur qui s'empare ici d'une piece de théâtre connu tirée d'un fait divers ahurissant relatant les amours d'un diplomate français avec une chanteuse chinoise (en fait un homme chargé de récolter des informations pour son gouvernement). Le M du titre pourrait tout aussi bien être l'abréviation de mister ou miss, quant au papillon en question c'est bien de la transformation d'un homme en femme qu'il s'agit. Ou plutôt de la perception idéalisée qu'un homme peut se faire d'une femme, d'une relation ou d'un pays, jusqu'à en arriver à nier la nature profonde de cet être ou de ce continent. Si le film peut s'apparenter un court instant au The Crying game de Neil Jordan pour la surprise de la découverte de l'identité sexuelle d'un des protagonistes, Cronenberg n'essaie même pas ici de travestir Song Liling (John Lone) aux yeux du spectateur ou de René Gallimard (Jeremy Irons). Gallimard tombe amoureux d'une femme et ne cessera d'y croire malgré les mises en garde de ses proches ou les retours à la réalité qu'il niera tant bien que mal.

Déni de réalité poussé à l'extrême, le personnage adopte le même point de vue sur un pays, la Chine, qu'il ne cesse de percevoir comme un idéal, un stéréotype conforme à la vision d'un occidental colonisateur. La vraisemblance - savoir comment un homme a pu ignorer si longtemps le sexe de son partenaire - n'est plus de mise et la beauté du film réside justement dans l'approche que Cronenberg adopte pour nous narrer cette histoire d'amour impossible. Le réalisateur la traite sans aucune ironie vis-à-vis de ses personnages ou de son spectateur : la réalité est présente mais n'empêche pas l'idylle de s'accomplir sous nos yeux, Et Gallimard de plonger plus profondément dans son fantasme allant jusqu'à accepter la paternité d'un enfant né de ses amours.

Étude d'un cas clinique de déni de réalité - d'auto-invention - Gallimard vit à travers cette relation son fantasme ultime (la femme asiatique soumise) malgré les soubresauts historiques qui feront vaciller son fantasme. Gallimard (au même titre que Seth Brundle dans La Mouche ou les jumeaux Mantle dans Faux Semblants) refusera la réalité jusqu'au bout, même face à l'évidence : la confrontation avec Liling habillé en homme dans un car de police en plein Paris secoué par les événements de 1968 et la désillusion de la prise de conscience le poussera logiquement vers le suicide. Seul moyen de nier définitivement le réel pour se rapprocher une denière fois du fantasme (les jumeaux Mantle, séparés, se suicident dans un acte désespéré de retrouver le statut de siamois uni par la chair et l'esprit).

C'est une nouvelle fois le rapport de rivalité entre la chair et l'esprit que David Cronenberg questionne à travers ce cas extrême mais en y injectant une forte dose de romantisme et de romanesque (le seul véritable point faible du film résidant peut-être dans sa reconstitution d'événements historiques - mai 68 par exemple) faisant de M Butterfly son film le plus émouvant avec La Mouche.

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