Critique : Free zone

Erwan Desbois | 4 novembre 2005
Erwan Desbois | 4 novembre 2005

Film après film, le prolifique réalisateur israélien Amos Gitaï affirme un caractère touche-à-tout peu commun dans le paysage cinématographique actuel. Il est en effet rare de rencontrer un metteur en scène dont la signature n'est pas un genre ou un ton, mais plutôt un thème. Pour Gitaï, ce thème est la nation d'Israël sous toutes ses facettes, aussi bien historiques que sociologiques, et le genre de chaque film n'est qu'une conséquence du point particulier traité : chronique sociale (pour la description du milieu des juifs orthodoxes dans Kaddosh), film de guerre (Kippour, sur le conflit du même nom), reconstitution historique (l'arrivée du peuple juif en Palestine en 1948 dans Kedma)… Pour sa première incursion hors d'Israël, Gitaï a donc tout naturellement choisi le genre du mouvement par excellence : le road-movie.

Free zone raconte le périple de Hanna (Hanna Laslo, prix d'interprétation féminine à Cannes) l'israélienne et de Rebecca (Natalie Portman) l'américaine, qui vont voyager en voiture de Tel-Aviv jusqu'aux confins de la Jordanie, où se trouve la « free zone », un lieu de libre-échange économique total dans lequel des gens de toutes nationalités (irakiens, syriens, israéliens, saoudiens…) commercent entre eux sans se soucier des conflits politiques de la région. L'intérêt scénaristique d'un tel endroit (qui existe réellement) est évident, mais Gitaï n'en abuse pas, tout comme il n'abuse pas des attributs a priori archétypaux de ses trois héroïnes – une fois arrivées dans la free zone, Hanna et Rebecca seront en effet rejointes par une palestinienne Leila (Hiam Abbass, vue dernièrement dans Satin rouge). Plus que des symboles, celles-ci sont avant tout des femmes comme l'assène la poignante scène d'ouverture, un long plan fixe sur le visage de Rebecca pleurant toutes les larmes de son corps à l'arrière d'une voiture aux vitres battues par la pluie.

Après deux longs-métrages pontifiants et statiques (Alila et Terre promise), Gitaï a retrouvé l'inspiration en « s'évadant » d'Israël, tant par les lieux de tournage que par les personnages. De belles idées de mise en scène viennent efficacement soutenir le récit : par exemple, avant que Hanna et Rebecca n'établissent le contact, les évènements qui les ont amenées à faire ce voyage ensemble ne sont pas racontés oralement mais présentés sous la forme de flashbacks superposés aux images du présent. Autre trouvaille stylistique bien exploitée, le choix de placer en permanence la caméra à l'intérieur de la voiture et jamais en dehors (ce qui accroît grandement la tension dans la scène du passage de la frontière israélo-jordanienne). Par ailleurs, l'introduction d'un personnage extérieur au conflit permet au réalisateur de mêler habilement fiction et réalité par le biais des rencontres faites le long de la route : qu'il s'agisse d'un pompiste jordanien, d'un émigré palestinien ayant fondé un village pour orphelins ou d'Hanna elle-même, chacun a une histoire personnelle passionnante (et le plus souvent inspirée de faits réels) à raconter à Rebecca / Natalie Portman, au rôle par conséquent plus effacé que ceux de ses partenaires. De quoi composer une mosaïque de regards sur un conflit inextricable, où le simple dialogue entre individus a été abandonné au profit de la violence et des préjugés.

Dans ce contexte, on regrette l'importance finalement minime donnée à la free zone, cette utopie d'échange et de dialogue au cœur du Proche-Orient. Au lieu de cela, Amos Gitaï s'égare dans un troisième acte, centré sur Leila, confus et trop long. Il se rattrape cependant au cours de l'épilogue, qui ramène soudainement – et au meilleur moment – les trois héroïnes à leur rôle symbolique pour une conclusion abrupte et désenchantée sur l'attitude de chaque camp (israéliens, palestiniens et observateurs), à la forme brillante.

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