Caché : Critique

Vincent Julé | 4 octobre 2005
Vincent Julé | 4 octobre 2005

Lors d'une interview accordée à l'occasion de la sortie de quatre films de Michael Haneke en DVD (la totale bientôt sur le site) pour lesquels il a réalisé une série d'entretiens, Serge Toubiana, ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma et actuel directeur de la Cinémathèque, définissait l'univers du réalisateur autrichien ainsi : « C'est un cinéaste qui s'intéresse au monde dans lequel nous vivons. Le monde urbain, civilisé, normalisé des grandes villes occidentales. Mais plus encore, il s'attarde sur ce grain de sable, qui dérègle les machines, les logiques, les fantasmes qui nous permettent de vivre. Il les piège, les questionne à travers des dispositifs, des récits, des scènes. » 

Déjà avec son titre, Caché entérine cette définition. Il ne fait d'ailleurs aucun doute que Michael Haneke travaille encore une fois le même matériau : une famille bourgeoise, avec un fils unique, confrontée à une menace intérieure transmise par l'image. La formule peut paraître lourde et schématique, mais elle renvoie pourtant directement aux premières obsessions du metteur en scène sur sa trilogie de la « glaciation émotionnelle » (plus particulièrement Le Septième Continent et Benny's Video).

 

 

Si le fond se révèle le même, la forme, elle, évolue et se renouvelle sans cesse. Et force est de constater que dans Caché, le pouvoir de l'image (et surtout sa transmission via un medium) franchit un nouveau pas. Le fameux pitch de la réception de cassettes vidéo filmées clandestinement était déjà le postulat de départ de Lost Highway (1997). Inquiétante œuvre d'un vidéaste omnipotent (plans à trois mètres du sol), ces images étaient chez David Lynch le point de départ d'une mise en abyme et d'une réflexion sur le travail de metteur en scène. Dès son premier et long plan séquence, Haneke insuffle à une vue somme toute banale un sentiment de peur insondable. Pourquoi et comment ? La résonance immédiate du titre du film, bien sûr ; et surtout cette insistance des minutes durant non pas de la caméra, mais de l'œil du spectateur à guetter le moindre bruit, le moindre changement.

 

L'arrêt et le rembobinage de l'image interviennent alors à la fois comme une libération et une confirmation de notre angoisse. En ne faisant aucune distinction formelle entre cette réalité filmée et la réalité du film, le réalisateur enlève toute possibilité de repère, et de repli, au spectateur. L'étonnement laisse donc vite place à l'impuissance, puis à la solitude et enfin à la détresse. Et l'appréciation ludique du film, qui voudrait d'essayer de distinguer les deux types d'images, se révèle vaine puisque le metteur en scène n'en joue pas. Il préfère, à raison, faire correspondre ce traitement clinique de l'image (glaciale, encore une fois) à l'état intérieur de son personnage principal. Le film livre alors un constat dur et implacable sur la culpabilité, ou plutôt l'absence de culpabilité. Daniel Auteuil réussit l'exploit d'être constamment sur le fil du rasoir, à la limite de l'explosion/implosion, sans pourtant jamais faillir. A raison d'efforts et de compromis ? Non, et c'est bien le plus effrayant dans ce portrait de père de famille insensible.

 

Résumé

Les fins connaisseurs de Michael Haneke bouderont peut-être l'histoire simple et le casting grand public de Caché, mais après un austère Temps du loup, ce film se révèle une expérience incontournable, et plus accessible, pour découvrir son monde, et par là-même un peu du nôtre.

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