Critique : Gabrielle

Sandy Gillet | 27 septembre 2005
Sandy Gillet | 27 septembre 2005

Mais où va le cinéma de Chéreau ? Droit dans le mur serait-on tenter de penser à la vision de son Gabrielle, adaptation fumeuse pour ne pas dire fumiste d'une très belle nouvelle de Joseph Conrad intitulée Le Retour (auteur à qui l'on doit aussi Au cœur des ténèbres dont Coppola en a tiré son Apocalypse Now). Voulu comme l'étude au scalpel et sur le mode ternaire (exposition, fuite, retour) d'un couple qui se déchire, Chéreau enquille près d'1h30 (qui en paraissent le double) d'images cadrées et montées à la hussarde provoquant au final chez le spectateur ce sentiment rédhibitoire de la vacuité de l'entreprise.

Homme de théâtre avant d'être un cinéaste, Chéreau semble ne plus vouloir s'affranchir de cet héritage prestigieux où la scène, unique champ de bataille et unique champ de vision, oblige souvent le metteur en scène à jouer de l'imagination du spectateur par ses inventions scéniques, le jeu des acteurs, la force du texte…L'expérience aurait pu être belle ici tant le réalisateur Chéreau a prouvé avec La reine Margot ou avec Ceux qui m'aiment prendront le train tout le potentiel et la force de sa mise en scène fortement stigmatisée et enrichie par l'art théâtrale. Au lieu de cela nous avons droit à de grotesques expériences formelles utilisant par moments le format déplacé de la bande dessinée (sic !), travaillant là une bande-son qui en devient inaudible ou encore s'enferrant ici dans des passages en noir et blanc dont on cherche encore la signification véritable.

C'est qu'il faut bien « égayer » une intrigue aussi mince que possible : un homme (Pascal Greggory revenu de son étonnant quasi purgatoire puisque son dernier film date tout de même d'Arsène Lupin) et une femme (Isabelle Huppert qui fait de l'Isabelle Huppert, soit la face la plus « facile » de son talent) issus de la haute bourgeoisie parisienne du début du XXème siècle se déchirent. Lui la croyait heureuse dans ce monde fait de conventions et de soirées mondaines, elle, croit encore en l'amour et via une lettre annonce sa fuite dans les bras d'un autre homme. Jusqu'au moment où elle décide abruptement d'y renoncer préférant affronter la réalité de son couple et la lente descente aux enfers de son mari pour qui tout s'écroule.

La nouvelle de Conrad ne montrait presque jamais la femme préférant disséquer pas à pas les affres intérieures du mari via une écriture paradoxalement légère et au final délicieusement lucide et dérangeante. En voulant donner corps à cette femme, Chéreau opte pour le face-à-face forcément réducteur bien que plus cinégénique. Mais pour cela encore aurait-il fallut adopter une mise en scène plus aérienne, moins ancrée dans la volonté de capter les visages et les corps au plus près. Une « astuce » qui aurait au moins permit au film d'adopter ce vernis de fragilité humaine dont le récit originel se nourrissait pourtant à satiété. Reste donc au final la vision d'une vulgaire scène de ménage filmée de surcroît avec condescendance et emphase.

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