Critique : Le Ciel tourne

La Rédaction | 20 juillet 2005
La Rédaction | 20 juillet 2005

Aldealsenor, petit village de la Castille en Espagne, Mercedes Alvarez revient sur les traces de son enfance et laisse la caméra déambuler dans les chemins de ses souvenirs sur le fil du présent. Elle est la voix du film qui vient se confesser s'entremêlant avec celles des habitants et leur nostalgie qui vient se confronter à l'évocation des événements contemporains. Dans un temps non linéaire mais plutôt cyclique puisque se succèdent les quatre saisons, la cinéaste nous montre comment s'écoule le quotidien des quatorze derniers habitants du village. Aucun d'eux n'est jamais parti d'Aldeasenor. Il y a un attachement fort et immanent à cette terre qu'ils cultivent et respectent pour ce qu'elle leur procure. Présenté comme un paradis perdu menacé par la montée puissante et effrénée de la colonisation de leur patrimoine historique représenté par l'établissement d'un hôtel de luxe sur les vestiges du château, le village est la nourriture terrestre d'une mémoire collective qui se veut l'âme d'un passé peu à peu oublié. Il y a un sentiment de permanence latent dans le récit qui est contrebalancé par la notion de disparition, inavouable mais réelle fatalité de cette petite communauté. Oscillant entre continuité et fin dont chacun des personnages se sent investi, leurs propos ne résistent pas à la conséquence d'une telle discordance et sont alors tous emprunts de scepticisme et d'un fatalisme austère très fort.

Mais ce qu'Alvarez cherche à rendre visible c'est la difficulté qu'il y a à évoluer avec le monde moderne lorsque celui-ci s'impose à vous de manière éhontée, qu'il vient jusqu'à votre porte pour coller des affiches pour des élections pour lesquelles personne n'est venu s'enquérir de vous ou dresser des éoliennes dans un paysage qui vous était familier depuis l'enfance. Et c'est sur l'aveuglement qui tombe progressivement à l'égard de cette réalité rurale que vient se personnifier la figure du peintre Pello Azketa. Le voile de sa cécité est la nappe de brume qui se dépose de coutume l'hiver sur le village mais qui aujourd'hui reste omniprésente puisqu'elle a recouvert l'avenir et montre le temps suspendu. C'est sur l'oubli finalement qu'est focalisé le temps du village, comme si les aiguilles d'une certaine temporalité symbolisée par ces derniers dinosaures avaient cessé de tourner et qu'une autre avait pris le relais syntonisée par le bruit des réacteurs des avions partant pour l'Irak.

Avec Le ciel tourne, la réalisatrice a tenté de lancer le documentaire espagnol sur les voies de ceux de Chris Marker ou Agnès Varda dont le rapport littéraire et romanesque entre le texte et les images reste imperceptiblement lié. Elle a voulu expérimenter dans un domaine dans lequel l'industrie cinématographique espagnole n'ose encore s'aventurer et c'est certainement pour cela que la critique (locale) a voulu avec tant de véhémence la saluer. Mercedes Alvarez a délaissé un temps les nouvelles technologies pour se souvenir de l'expérience documentaire des frères Lumière qui avaient à deux occasions, filmé la sortie d'usine des ouvriers en intervenant simplement sur la ritualisation du temps et de l'espace. Bien qu'ancré dans un cinéma où l'importance de la mémoire est primordiale, Le ciel tourne n'oublie pas pour autant qu'il est un fantasme de la réalité cherchant à se réincarner pour le plus grand plaisir du spectateur.

Marie Morani

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