Critique : Le Crime farpait

Patrick Antona | 12 avril 2007
Patrick Antona | 12 avril 2007

Désormais devenu un des piliers du cinéma ibérique moderne, Alex de la Iglesia continue son bonhomme de chemin dans le domaine de la comédie noire, à la lisière du fantastique, construisant une œoeuvre parmi les plus intéressantes qui soit, et dont Le Crime farpait , récent vainqueur du grand prix du Festival du film policier de Cognac, est un représentant exemplaire. Et l'on dispose pour s'en convaincre de la chance de voir enfin son dernier film distribué en France de manière correcte, ce qui ne fût pas le cas de certaines de ces dernières oeuvres (Perdita Durango en direct-to-video, Muertos de Risa toujours inédit ou encore 800 balles sorti furtivement à l'été 2004).

En s'attachant à nous décrire le calvaire de Rafael (excellent Guillermo Toledo, vu dans Intacto), chef de rayon dans un grand magasin madrilène qui vise à devenir responsable d'étage et dont le credo de vie est l'élégance et la perfection, Alex de la Iglesia se livre à une critique féroce de la société consumériste où individualisme forcené et culte de la beauté, pour n'en citer que deux de ses travers, sont érigés désormais au statut de dogme. Mais cette charge accusatrice tomberait facilement dans le lieu commun s'il elle n'était pas enrobée d'une mise en scène dynamique et d'une veine comique des plus inspirées défendant le propos avec ferveur et habileté.

Après une introduction rythmée, ode à la comédie musicale, où Rafael nous présente sa conception de la vie, le drame qui fera de sa vie si « parfaite » un enfer commence à se nouer, prenant racine dans la rivalité qui va l'opposer à Don Antonio (Luis Varela) pour l'obtention du poste tant convoité. Son monde prend peu à peu forme aux yeux du spectateur au travers de personnages qui gravitent autour de sa personne, des vendeuses énamourées (d'où émerge la superbe Kira Miro) aux collègues masculins plutôt veules.

Après la mort accidentelle de Don Antonio, résultant d'une violente dispute avec Rafael, ce dernier se retrouve dans une impasse, soumis au chantage de Lourdes, employée laide et insignifiante. En effet, cette dernière, en aidant Rafael à se débarrasser du corps (dans une scène d'humour noir que n'aurait pas renié Hitchcock lui-même), ne désire ni plus ni moins le forcer à accepter un mariage. Elle pourra ainsi abandonner son statut de laideron laissé-pour-compte et accéder par ce biais à la reconnaissance sociale. L'occasion de laisser transparaître sa véritable nature, beaucoup plus ambitieuse et moins altruiste qu'il ne semblait, et qui vient parasiter avec force le confortable univers que son mari s'était construit.

Recentrant ainsi son intrigue sur les tourments de l'âme de Rafael, aidé par une composition d'acteur digne d'un Vincent Price de la grande époque (celle des films de Roger Corman), s'attardant sur les choix qu'il devra effectuer pour se sauver de cette existence « imparfaite » que l'adversité lui a imposée, Alex de la Iglesia finit par nous rendre sympathique ce personnage qui se révèle être la véritable victime d'un système qui cristallise la médiocrité et l'élève au rang de modèle social. Que ce soit dans les scènes où Rafael se trouve confronter à sa conscience (via les visites du fantôme de Don Antonio !) ou dans celles où il subit les affres d'une vie qu'il a tentée à tout prix d'éviter (le sexe avec Lourdes ou les repas de famille), Guillermo Toledo est la révélation du film, passant avec aisance de la cruauté à l' abattement, de la rouerie à la folie, grandement épaulé, il est vrai, par une galerie de solides seconds rôles (en particulier Enrique Villen et Fernando Tejero), sans oublier Monica Cervera, impeccable dans l'interprétation de Lourdes, personnage plutôt casse-gueule à l'origine.

Autant dire que Alex de la Iglesia a réussi à marier adroitement thriller et critique sociale. Ce cocktail irrévérencieux, pourtant loin de la gratuité des « comédies trash » très en vogue actuellement, atteint son but en se basant sur le postulat simple que l'enfer c'est les autres et en ne perdant jamais de vue le fil de son histoire. Distillant bons mots et répliques cinglantes, mais n'hésitant pas à ménager quelques scènes d'action (dont un final dantesque), le tout se terminant sur une note que l'on pourrait qualifier de poétique, le metteur en scène espagnol signe une oeœuvre originale qui va au-delà d'une énième variation sur le thème de la culpabilité chère à Hitchcock et s'offre le luxe d'une réflexion pessimiste mais paradoxalement jouissive sur le destin. Farpaitement .

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