Critique : Les Mots bleus

Johan Beyney | 22 mars 2005
Johan Beyney | 22 mars 2005

Les mots bleus est avant tout un film sur la peur. Une peur qui se transmet, qui empêche d'avancer. Une peur d'autant plus paralysante qu'elle en est devenue familière, un repère sans lequel il est difficile de se retrouver. Clara a très tôt été trahie par les mots. À tel point qu'elle a décidé de limiter au maximum ses rapports avec eux, et que sa petite fille, Anna, a décidé de ne pas en prononcer un seul. Mais s'exclure des mots – qu'ils soient parlés, écrits ou lus – c'est aussi s'exclure des autres. Enfermées dans leur relation mère-fille, Clara et Anna vont devoir apprendre à apprivoiser les mots pour se mettre à aimer vraiment.

Paradoxalement, cette histoire de mots (de maux) est d'abord née sous forme littéraire (Leur histoire, de Dominique Mainard), et c'est sous cette forme qu'elle produisait le plus d'impact. Cependant, Alain Corneau a réalisé ici une adaptation très réussie du roman, réussissant ce tour de force magistral de rendre compte avec fidélité de l'histoire originale (les dialogues sont co-écrits avec la romancière), mais aussi du style du roman. Ce faisant, il reproduit les qualités mais également les défauts de celui-ci. L'histoire simple et dépouillée prend les allures d'un conte qui, sans cesse rappelé par le réel, ne parviendrait pas à décoller vraiment. Du coup, chaque idée, aussi jolie soit-elle, perd un peu en magie et en poésie. De plus, l'histoire – dont chaque étape, chaque évènement peut-être lu/vu comme une métaphore du rapport des personnages aux mots et aux autres – finit vite par accumuler trop systématiquement les symboles et les moments poétiques pour qu'ils soient réellement efficaces. En clair, trop de poésie tue la poésie.

La très bonne surprise du film reste cependant son casting irréprochable. Encore une fois, Sylvie Testud est épatante et apporte au personnage de Clara un mélange de fragilité, d'obstination et d'agressivité parfaitement rendu (notamment dans une scène très forte où elle recherche sa fille cachée derrière tous les masques de carnaval de l'école). Sergi Lopez est quant à lui parfait dans le rôle de cet instituteur presque caricatural dans son entêtement à donner de l'amour à ces deux femmes isolées. Mais c'est surtout sous le regard intense de la jeune Camille Gauthier qu'ils prennent toute leur consistance, tant la fillette parvient à donner, malgré son mutisme, une vraie émotion.

Après Stupeur et tremblements (adaptation du roman d'Amélie Nothomb, dans laquelle jouait déjà Sylvie Testud), Alain Corneau développe la dimension littéraire de sa filmographie, en livrant une transposition très réussie d'un livre qui, par la nature même de sa trame, reste cependant plus efficace en mots qu'en images. Et les défauts d'un roman qui s'enlise un peu dans trop de symbolisme, en ressortent d'autant plus « visibles ».

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