Critique : Hôtel Rwanda

Johan Beyney | 17 mars 2005
Johan Beyney | 17 mars 2005

C'est à travers l'histoire d'un homme que Terry George (scénariste de Jim Sheridan pour Au nom du père et The Boxer) a décidé de revenir sur le génocide rwandais, drame humain peu ou mal médiatisé. L'homme en question, directeur d'un hôtel de luxe, appartient aux classes aisées du pays. En tant que hutu, il n'était pas inquiété par le génocide perpétré contre les Tutsi. Et pourtant il a fait le choix, en recueillant plus d'un millier de réfugiés dans son hôtel, de prendre parti au sein de ce conflit pour sauver des vies humaines. Difficile, à la vision de cet Hotel Rwanda, de ne pas penser à La liste de Schindler, et malheureusement, de ne pas établir de comparaison.
[img_left]rwanda_famille.jpg [/img_left]D'abord, le trajet de Paul Rusesabagina s'éloigne de celui d'Oskar Schindler sur un point essentiel : marié à une Tutsi, son hôtel protégé par les Casques Bleus, plongé directement au cœur des batailles et des explosions, il ne pouvait choisir d'ignorer la réalité de la situation. C'est donc face à un homme décidé à se battre avec la rage du désespoir pour sauver sa famille que l'on a affaire. Et puis, de fil en aiguilles, pourquoi pas quelques autres qui le méritent tout autant... En ce sens, le personnage principal d'Hotel Rwanda apparaît comme une figure bien plus humaine - en termes de doute, de peur et de fragilité - que ne l'était l'industriel allemand du film de Spielberg. Une figure à laquelle, par conséquent, il est plus facile de s'identifier. C'est peut-être ici l'un des écueils du film : à focaliser l'histoire sur les dangers encourus par cet homme et sa famille, le film en occulterait presque l'ampleur d'un génocide qui a vu massacrer plus d'un million de personnes.

S'il est hors de question de juger le fond du film - ou en tout état de cause, l'histoire vraie d'un homme définitivement remarquable -, on peut cependant émettre quelques réserves sur la manière dont le sujet est traité. L'une des astuces du scénario consiste, à l'aide d'extraits d'émissions de radio internationales ou Hutu, à faire le rappel nécessaire du contexte historique méconnu dans lequel le conflit a éclaté, sans que cela paraisse trop pesant ou didactique. Evitant toute dérive voyeuriste, le réalisateur parvient à montrer l'horreur du génocide avec force et pudeur (à travers les images filmés d'un journaliste occidental, ou au cours d'une scène glaçante dans laquelle, conduisant dans le brouillard, Paul pense avoir perdu la route) et à nous faire appréhender le concentré de haine accumulé par les Hutu à l'égard des Tutsi. Il ne parvient malheureusement pas à nous le faire comprendre.

Beaucoup de sujets sont abordés sans complaisance et avec une vraie bonne foi (la corruption, l'indifférence médiatique et politique occidentale, l'impuissance des forces de l'ONU), et l'on sent que Terry George a envie avec ce film de bouleverser les consciences occidentales. Mais, contrairement à Oskar Schindler, Paul Rusesabagina est en danger, directement menacé, et face à l'urgence de sa situation, tout ces règlements de compte paraissent presque futiles. La constance avec laquelle le réalisateur a concentré le film sur son personnage central l'empêche finalement de développer complètement son propos polémique. D'autant qu'il ne rechigne pas à user de quelques ficelles bien épaisses pour susciter une émotion bon marché autour de son héros : une musique qui souligne parfois l'action avec trop de lourdeur (des gros tambours pour avoir peur, des envolées violoneuses le temps de verser une larme....), des promesses désespérées ou des dialogues entendus. Par ailleurs, lorsque pour des raisons de praticité, on décide de présenter un film sur le mode légitime du « faisons comme si tout le monde parlait anglais » (même les rwandais entre eux : on n'entend à aucun moment un mot d'un dialecte local, et les rares phrases prononcées en français le sont par des touristes), on pourra se poser des questions sur la pertinence de faire prendre l'accent africain à des acteurs américains.

Reste que l'émotion est là. Et cette présence, on la doit pour une (très) grande partie à Don Cheadle et Sophie Okonedo, tous deux à juste titre récompensés par une nomination aux Oscars de Meilleur Acteur et Meilleur second rôle féminin. Malheureusement, là où Spielberg parvenait à nous écraser sous le poids de toutes les victimes de la Shoah, Terry George ne parvient qu'à nous rassurer sur le sort d'un seul homme. Et on a oublié le million d'autres qui n'ont pas eu sa chance.

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire