Critique : La Petite chartreuse

Johan Beyney | 17 février 2005
Johan Beyney | 17 février 2005

Avec seulement cinq films depuis 1981, Jean-Pierre Denis est un réalisateur qui se fait rare. Après Les blessures assassines (2000) qui révéla Sylvie Testud, il adapte La petite chartreuse de Pierre Péju (Prix du livre Inter 2003), un joli conte intemporel pudiquement caché sous un vernis de modernité. Car si l'histoire qui réunit les trois personnages nous est contemporaine, elle aurait tout aussi bien pu se dérouler à une autre époque.

Etienne Vollard est seul. Hypermnésique, il vit encombré des souvenirs de son passé et des mots des milliers de livres qu'il a lus. Mais pourquoi, et surtout pour qui ? Ce n'est que grâce à la nature qu'il survit, grâce à une montagne qui lui apporte l'oubli et avec laquelle il entretient un rapport presque charnel. Pascale est une mère célibataire. Elle aimerait être une vraie maman pour Eva mais, malgré toute sa bonne volonté, elle n'y arrive pas. Peut-être qu'elle n'est pas faite pour ça, peut-être que ça n'est pas si grave. Ces deux personnages vont se retrouver autour d'Eva, la petite fille (jouée par la jeune Bertille Noël-Bruneau, dont le regard comble magnifiquement l'absence de dialogues), renversée accidentellement par Etienne. Cet accident va permettre aux trois personnages de sortir de leur solitude et de se trouver une place. Et s'il est vrai que l'on n'existe que par le regard des autres, alors ces trois-là vont enfin se mettre à exister.

Une histoire pareille, centrée sur la solitude, le silence et la difficulté de communiquer pourrait vite sombrer dans le contemplatif, voire le rébarbatif. Or, bien que le rythme du film nous fasse parfois frôler l'ennui, on se prend rapidement à l'accepter, parce que le destin de ces personnages ne saurait se résoudre aussi vite, parce que ces choses-là prennent du temps et qu'ils en ont besoin. Et si le film fonctionne, c'est surtout grâce aux choix des interprètes. [img_right]pchartreuse_critic2.jpg [/img_right]En réunissant Olivier Gourmet (Prix d'interprétation à Cannes en 2002 pour Le fils) et Marie-Josée Croze (Prix d'interprétation à Cannes en 2003 pour Les invasions barbares), Jean-Pierre Denis a réussi un tour de force inattendu, mais incroyablement efficace. La force brute de Gourmet convient parfaitement à Etienne Vollard. L'acteur incarne avec sobriété cet ours solitaire qui se transforme en conteur magnifique au chevet d'une enfant dans le coma, sans jamais se départir des douleurs de son personnage. Marie-Josée Croze propose quant à elle une interprétation très émouvante de ce rôle de femme paumée qui ne sait si elle doit être une mère, une fille ou une amante. La rencontre entre les deux procède d'une alchimie palpable à l'écran, notamment au cours d'une scène d'amour d'une intensité confondante.

Au fil d'un scénario simple, Jean-Pierre Denis nous apprend la force magique des mots et transforme des âmes perdues en héros de conte moderne. Ça valait le coup d'attendre.

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